Nous reprenons ici un article de Isabelle Labeyrie que vient de publier France-info
L’arrêt des importations de gaz russe lié à la guerre en Ukraine n’a pas fait changer d’avis le gouvernement allemand actuel. Pourtant en 2022, le vent de l’opinion a commencé à tourner : avec l’augmentation des tarifs de l’énergie et la question du réchauffement climatique, des voix de plus en plus fortes ont réclamé la prolongation des centrales qui devaient initialement fermer le 31 décembre 2022.
6,3 % de la production d’électricité
Le gouvernement d’Olaf Scholz (dont font partie les Verts, radicalement opposés au nucléaire), a donc finalement accepté de repousser l’échéance. Les centrales ont eu trois mois et demi de sursis et comme l’hiver plutôt doux s’est finalement passé sans coupures de courant ni pénurie de gaz, le nouveau calendrier a été bien accepté. L’Allemagne ne dispose pas d’arme nucléaire et la dimension stratégique est absente des débats. La sortie du nucléaire est aussi liée à un changement de modèle énergétique plus global.
Surtout que les trois réacteurs en question ne sont pas non plus d’une importance vitale. Ils fournissent 6.3 % de l’énergie produite dans le pays (puissance installée nette de 4 gigawatts), autant dire rien du tout si on compare cette énergie à celle du charbon qui produit lui le tiers de l’électricité du pays. En 2022, le charbon a même progressé de 8 % pour compenser le manque de gaz. C’est là qu’est le vrai sujet.
Cap sur le renouvelable
Mais le charbon lui aussi va s’arrêter, en 2038, avec un grand nombre de fermetures de centrales dès 2030. Pour compenser à la fois la fin du nucléaire et la fin du charbon sans pour autant augmenter ses importations d’électricité, l’Allemagne veut promouvoir l’installation de centrales à gaz puis à hydrogène, et surtout d’accélérer sur le renouvelable. Un défi de taille pour Berlin, puisque le gouvernement espère que dès 2030, 80 % de la consommation allemande provienne des panneaux solaires et des éoliennes.
Cela veut dire qu’il va falloir installer chaque jour « quatre à cinq éoliennes » et « l’équivalent de plus de 40 terrains de football en panneaux solaires », comme le reconnaît le ministre de l’Énergie Robert Habeck. Objectif très ambitieux, mais le gouvernement en a vraiment fait sa priorité.
L’enfouissement des déchets
Pour la fermeture des centrales, il n’y a pas de bouton on / off : le ralentissement est progressif. Les éléments combustibles du cœur du réacteur vont d’abord être immergés dans une piscine, ils vont y rester trois à cinq ans avant d’être placés dans des conteneurs. En parallèle, le démontage des autres éléments de la centrale va commencer dès 2024. Ça prendra à peu près 15 ans.
Il faut aussi trouver un site d’enfouissement pour les déchets qui resteront hautement radioactifs et ça, ça n’est pas du tout réglé. La phase de recherche a pris du retard, elle ne se terminera pas avant au moins 2046. Ensuite il faudra encore 20 ans pour pouvoir y déposer le premier colis radioactif. Ça paraît long, mais le site doit être hautement sécurisé pour pouvoir stocker les déchets pendant un million d’années. Bref, l’Allemagne n’en a pas terminé avec les polémiques liées au nucléaire.
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Pour notre part nous nous bornerons à rappeler ici ce que nous écrivons régulièrement
- Contrairement aux affirmations gouvernementales, l’Allemagne continuera longtemps à utiliser des centrales à charbon voire au pétrole. Cela sera pour elle une solution de facilité qu’elle ne pourra pas refuser.
- En abandonnant le nucléaire civil elle perdra des compétences précieuses dont elle aurait eu grand besoin dans une quinzaine d’années au moment où le nucléaire de fusion (projet Iter et ses suites) commenceront à entrer en production.
- Dans l’immédiat, l’explosion du marché des véhicules électriques imposera pour la recharge des batteries des besoins en électricité qui dépasseront très largement les ressources du renouvelable. L’Allemagne remettra-t-elle en service ses centrales à charbon ?
- L’expérience de la fermeture de la centrale nucléaire française de Fessenheim montre que conserver en activité sur 15 ans une centrale encore en service et susceptible d’être rajeunie coûte beaucoup moins que faire appel au renouvelable.
- Enfin la production des éoliennes et des panneaux solaires sera longtemps un monopole des pays asiatiques. L’Allemagne ne pourra pas y échapper.