Nous rééditons ici, avec son accord, un excellent éditorial du journal Le Monde
Après la diffusion d’un reportage de « Zone interdite » sur la montée d’un islam incitant au repli identitaire à Roubaix , la présentatrice, Ophélie Meunier, et un témoin sont la cible de menaces de mort.
Editorial. On a souvent, dans ces colonnes, dénoncé les menaces, les atteintes aux libertés et les sévices dont sont victimes, dans des pays lointains, des journalistes et ceux qui les informent. Les menaces de mort ciblant Ophélie Meunier, présentatrice de « Zone interdite », émission de reportage de M6, ainsi qu’Amine Elbahi, un habitant de Roubaix qui témoigne dans l’enquête diffusée dimanche 23 janvier, suscitent la même indignation.Depuis la tragédie de Charlie Hebdo, les Français connaissent le déchaînement de haine aveugle que peut susciter, chez des terroristes islamistes, l’exercice de la liberté d’expression. Depuis l’assassinat de Samuel Paty, ils savent que l’on peut mourir en France pour un cours sur la liberté d’expression. Qu’après ces drames des personnes s’exprimant publiquement sur la pratique de la religion musulmane continuent à être inquiétées est alarmant. Un certain nombre d’entre elles a dû être placé sous protection policière. Selon le ministre de l’intérieur, les journalistes menacés le sont systématiquement.
Le soupçon de clientélisme visant le maire, Guillaume Delbar, y est exprimé par un journaliste de la Voix du Nord, ainsi que par Amine Elbahi, un Roubaisien révolté contre l’islam radical et contre la surdité des autorités publiques quand il les a alertées pour tenter d’empêcher le départ de sa sœur pour le djihad en Syrie. Quant à M. Delbar, il est poursuivi en justice pour « détournements de fonds publics par négligence ».
La longue enquête de M6, intitulée « Face au danger de l’islam radical, les réponses de l’Etat », s’interroge sur les politiques publiques destinées à combattre l’islamisme. Réalisée largement en caméra cachée, elle s’attache à décrire différentes manifestations de la montée d’un islam incitant au repli identitaire et remettant en cause des principes républicains. Le début du reportage, tourné à Roubaix, dénonce le subventionnement par la municipalité d’une association dispensant un enseignement religieux sous le couvert de soutien scolaire.
Un autre passage du film, auquel participe M. Elbahi, est tourné dans un magasin qui vend des poupées pour enfants dont la tête ne porte aucun trait de visage « parce que [le visage], c’est Allah qui le crée », explique la vendeuse. Depuis la diffusion de ce reportage, la présentatrice de M6 et le « lanceur d’alerte » ont dû être placés sous protection policière à la suite de menaces de mort. Le maire de Roubaix dit être victime d’un « déferlement de haines et de menaces ».
Un tel phénomène menace une fois de plus l’exercice de la liberté d’expression et d’information. Or, sur l’islam comme sur toute autre religion, ces libertés n’ont pour limite que les lois pénales qui répriment l’injure, la diffamation, l’appel à la haine ou à la discrimination. Alors que certains candidats à la présidentielle jouent les pyromanes en désignant les musulmans comme boucs émissaires, il faut rappeler avec force que les militants de l’islam radical ne constituent qu’une petite minorité. Sans pour autant nier les tendances au « séparatisme » favorisées par la ghettoïsation urbaine, le clientélisme de certains maires et exacerbées par les islamistes.
Remettre en cause l’impasse identitaire et l’instrumentalisation politique de l’islam suppose de pouvoir aborder sans crainte toutes ces réalités, comme n’importe quelle autre. Cela suppose aussi de ne pas laisser aux marchands de haine la dénonciation des dérives inquiétantes qui menacent toute la société, y compris la grande masse des musulmans.