05/02/2023 La prochaine guerre mondiale est-elle engagée ?

Oui, pense Zoltan Pozsar, expert financier au Crédit Suisse. Il l’avait déjà souligné, dans son dernier essai Guerre et paix . Il y indiquait que cette guerre était bien engagée, en énumérant simplement les événements de 2022 :

  • Le blocus financier de la Russie par le G7
  • Le blocus énergétique de l’UE par la Russie
  • Le blocus technologique de la Chine par les États-Unis (l’Amérique prépositionne des sites pour soutenir les opérations).
  • Le blocus naval de Taïwan par la Chine (la Chine montre qu’elle est prête)
  • Le « blocus » américain du secteur des véhicules électriques de l’UE avec la loi sur la réduction de l’inflation.
  • Le « mouvement de tenaille » de la Chine autour de l’ensemble de l’OPEP+ avec la tendance croissante à facturer les ventes de pétrole et de gaz en renminbi.

Cette liste équivaut à un  bouleversement  géopolitique majeur – éloignant de manière décisive le monde de la soi-disante  » vie d’avant  » (à laquelle tant de membres de la classe des consommateurs aspirent ardemment à à retrouver) vers un état de guerre intermédiaire.

La liste de Pozsar montre que les plaques tectoniques de la géopolitique sont sérieusement en mouvement – des mouvements qui s’accélèrent et s’entremêlent de plus en plus, mais qui sont encore loin d’être stabilisés. La « guerre » sera probablement un élément perturbateur majeur (au minimum), jusqu’à ce qu’un certain équilibre soit rétabli. Et cela peut prendre quelques années.

Quoi qu’il en soit, Pozsar nous laisse quatre conclusions économiques clés (avec de brefs commentaires) Elle ne surprendront, il faut le dire, que ceux qui n’ont pas étudié les deux guerres mondiales du 20 siècle :

Ainsi la guerre crée une dynamique financière nouvelle et façonne une pensée différente. Plus important encore, la  guerre  n’est pas un phénomène stable. Elle peut commencer par des frappes mesquines sur l’infrastructure d’un rival, puis, à chaque fois que la tâche progresse, glisser vers une guerre totale. Dans sa guerre contre la Russie, l’OTAN ne se contente pas d’élargir sa mission, elle intervient sur le terrain, craignant une humiliation de l’Ukraine dans le sillage de la débâcle de l’Afghanistan.

L’UE espère arrêter ce glissement bien avant une guerre totale. Il s’agit néanmoins d’une pente très glissante. Le but de la guerre est d’infliger de la souffrance et d’affaiblir l’ennemi. Dans cette mesure, elle est ouverte à la mutation. Les sanctions formelles et les plafonds sur l’énergie se transforment rapidement en sabotage de pipelines ou en saisie de pétroliers.

La Russie et la Chine, cependant, ne sont certainement pas naïves. Elles se sont occupées à mettre en place leur propre théâtre de guerre, avant un potentiel affrontement plus large avec l’OTAN. Elles peuvent désormais prétendre avoir établi une relation stratégique, non seulement avec l’OPEP+, mais aussi avec l’Iran et les principaux producteurs de gaz. La Russie, l’Iran et le Venezuela représentent environ 40 % des réserves pétrolières prouvées dans le monde, et chacun d’entre eux vend actuellement du pétrole à la Chine pour des renminbis et non du dollar avec une forte décote. Les pays arabes du CCG représentent 40 % supplémentaires des réserves pétrolières prouvées et sont courtisés par la Chine pour qu’ils acceptent des renminbis pour leur pétrole, en échange d’investissements transformateurs. Il s’agit d’un nouvel espace de combat important qui se prépare – mettre fin à l’hégémonie du dollar

La partie adverse a porté le coup initial, en sanctionnant la Russie, c’est-à-dire la moitié de la production de l’OPEP et ses 40 % de réserves pétrolières mondiales. Cette tentative a échoué : l’économie russe a survécu et, sans surprise, les sanctions ont fait perdre ces États à l’Europe, qui les a cédés politiquement à la Chine.

Entre-temps, la Chine courtise l’autre moitié de l’OPEP avec une offre difficile à refuser : « Au cours des « trois à cinq prochaines années », la Chine ne paiera pas seulement plus de pétrole en renminbi – mais, plus important encore, elle paiera  avec de nouveaux investissements dans les industries pétrochimiques aval en Iran, en Arabie saoudite et, plus largement, dans le Golfe.

Le point essentiel ici est, qu’à l’avenir, une plus grande partie de la « valeur ajoutée » (au cours de la production) sera captée localement, au détriment des industries occidentales. Ou, en d’autres termes, l’axe Chine-Russie allume les feux d’une insurrection structurelle contre l’Occident dans une grande partie du reste du monde.. Ses actions visent à « faire bouillir lentement la grenouille » (expression suisse signifiant cuire à petit feu) non seulement l’hégémonie du dollar, mais aussi celle d’une économie occidentale désormais peu compétitive.

Cela ne semble peut-être pas si évident, mais il s’agit d’une guerre financière. Si l’UE se contente de choisir la « solution de facilité » pour sortir de sa situation de non-compétitivité (en accordant des subventions pour permettre des importations à forte marge), cela signifiera pour elle beaucoup moins de production intérieure – et plus d’inflation – car les alternatives qui gonflent les prix sont importées de l’Est. L’Occident, qui prend la « décision facile » (puisque sa stratégie en matière de renouvelables n’a pas été bien réfléchie), constatera probablement que l’arrangement se fera au détriment de la croissance.

L’Europe sera particulièrement touchée. Elle a choisi de devenir dépendante du Gaz de Schiste GNL américain, juste au moment où la production des gisements de schiste américains a atteint son maximum, la production existante étant probablement destinée au marché intérieur américain. Il n’est pas nécessaire de réfléchir, ni de prendre des décisions difficiles, lorsque les dirigeants ont la conviction inébranlable que l’Occident est le centre de l’univers. Il suffit de remettre à plus tard, en attendant que l’inexorable se déploie.

L’histoire récente des guerres éternelles menées par les États-Unis est une preuve supplémentaire de cette lacune occidentale : ces guerres zombies s’éternisent pendant des années sans justification plausible, pour être ensuite abandonnées sans cérémonie. La logique stratégique a toutefois été plus facilement supprimée et oubliée lors de guerres d’insurrection – par opposition à la lutte contre deux États concurrents bien armés et comparables.

Le même dysfonctionnement s’est manifesté dans de nombreuses crises occidentales à évolution lente : néanmoins, nous persistons… parce que la protection de la psychologie fragile de nos dirigeants – et d’un secteur influent de l’opinion publique – est prioritaire. L’incapacité d’envisager de perdre pousse nos élites à préférer le sacrifice de leur propre peuple, plutôt que de voir leurs illusions démasquées.

Par conséquent, la réalité ne doit pas être reniée. Nous vivons un entre-deux insaisissable – tant de choses se passent, mais si peu de mouvement. Ce n’est que lorsque le déclenchement de la crise ne pourra plus être ignoré – même par les médias et les censeurs de la technologie – qu’un effort réel pourra être fait pour s’attaquer aux causes profondes.

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