Un des grands problèmes de la science physique actuelle est que deux piliers théoriques sur lesquels elle repose sont incompatibles, pour ne pas dire contradictoires. La relativité générale introduite par Einstein décrit en 1905 un univers (on dit aussi un espace-temps, dans lesquels chaque objet peut être défini par des équations l’inscrivant dans le temps et l’espace.
Pour la mécanique quantique développée dans les années 30, les coordonnés de temps et d’espace ne sont que des probabilités. Elles obéissent à un principe dit d’indétermination ou d’incertitude Le principe d’indétermination énonce que pour une particule donnée, il est impossible de connaître simultanément sa position et sa vitesse
Si par contre, on renonce à considérer la particule comme objet corpusculaire défini par des valeurs de position et vitesse, mais ayant une certaine extension dans l’espace, il est possible de la représenter par une fonction décrivant sa distribution spatiale. Toute l’information relative à une particule est alors contenue dans une fonction d’onde.
Bien qu’apparemment contradictoire, ces deux principes sont utilisés aujourd’hui pour construire des systèmes physiques parfaitement vérifiables, par exemple en informatique quantique avec les calculateurs du même nom.
Les physiciens considèrent cependant aujourd’hui que si une nouvelle théorie dite de la gravitation quantique n’était pas établie, faisant la synthèse entre la relativité et la physique quantique, un élément essentiel manquerait à la science. Or il semble que c’est de la physique des trous noirs que pourrait venir la lumière.
Les trous noirs ont des cheveux
Récemment, des scientifiques ont annoncés que les trous noirs possèdent une propriété qu’ils ont nommée « cheveux quantiques de la gravité ». Ce serait une grande avancée en physique théorique.
Les trous noirs sont des objets cosmiques encore mal compris. En astrophysique, un trou noir est défini comme étant un objet si compact que l’intensité de son champ gravitationnel empêche toute forme de matière ou de rayonnement de s’en échapper. En d’autres termes, leur gravité courbe l’espace-temps au point que rien ne peut atteindre la vitesse nécessaire pour s’échapper. De tels objets ne peuvent ni émettre ni diffuser la lumière Ils sont donc « optiquement invisibles ».
De la même manière, l’information ne peut s’en échapper, et la théorie de la relativité générale d’Einstein suggère que les informations sur ce qui entre dans un trou noir ne peuvent donc pas en sortir, c’est-à-dire que nous ne pouvons pas déterminer a posteriori ce qui, est entré dans le trou noir. Mais la mécanique quantique affirme que c’est impossible. C’est le paradoxe de l’information mis en évidence par Stephen Hawking en 1976.
Voir Wikipedia https://fr.wikipedia.org/wiki/Paradoxe_de_l’information
Or un quatuor international de physiciens, dont un professeur et chercheur de l’Université du Sussex, a co-écrit un article qui pourrait considérablement affecter notre compréhension des trous noirs. Nous en indiquons in fine les références et l’abstract
Commentaire
Dans un premier temps, revenons sur le paradoxe de l’information. Hawking s’était rendu compte que les trous noirs rayonnent d’une manière unique. Leur déformation de l’espace-temps modifierait la nature ondulatoire des champs quantiques environnants de sorte qu’un rayonnement thermique serait produit.
Cela signifie qu’un trou noir devrait lentement s’évaporer, émettant son énergie, photon après photon, dans l’Univers. Alors qu’il rayonne, le trou noir perd de l’énergie et donc de la masse. Ainsi, selon la relativité générale qu’une information pourrait définitivement disparaître dans un trou noir, à la suite de l’évaporation de celui-ci. À l’inverse, les lois de la physique quantique stipulent que l’information est préservée dans les trous noirs. C’est là que réside le paradoxe de l’information.
Il y a eu une myriade de solutions proposées, y compris la « théorie du mur de feu », dans laquelle l’information était censée brûler avant d’entrer dans un trou noir, la « théorie de la boule floue de darkinos » dans laquelle on suppose que les trous noirs ont des frontières floues. Mais la plupart de ces propositions nécessitaient de réécrire les lois de la mécanique quantique ou la théorie de la gravité d’Einstein, les deux piliers de la physique moderne.
Toutes les théories qui supposent la persistance des informations décrivent en fait ces connexions restantes avec l’Univers comme des « cheveux ». C’est pourquoi Xavier Calmet et ses collaborateurs suggèrent que lorsque la matière s’effondre dans un trou noir, elle laisse une faible empreinte dans son champ gravitationnel. Les auteurs l’ont nommée « cheveu quantique de la gravité », car leur théorie remplace une idée antérieure appelée « théorème de l’absence de cheveux », développée dans les années 1960. Cette « théorie des trous noirs chauves », basée sur la physique classique, affirme que ces derniers peuvent être considérés comme des objets étonnamment simples, définis uniquement par leur masse, leur charge électrique et leur moment cinétique, lié à leur vitesse de rotation.
Au lieu d’objets simples, les auteurs affirment que les trous noirs sont bien plus complexes. Ils estiment que leur théorie de cheveux quantiques fournit le mécanisme par lequel les informations sont préservées lors de l’effondrement d’un trou noir. Cette nouvelle solution rapproche la physique quantique à la gravité sous la forme de particules théoriques appelées gravitons. Ces particules élémentaires hypothétiques transmettraient la gravité dans la plupart des systèmes de gravité quantique, de la même manière que le photon est associé à la force électromagnétique.
Grâce à une série d’étapes logiques montrant la façon dont les gravitons pourraient potentiellement se comporter dans certaines conditions d’énergie, Xavier Calmetl a démontré son modèle expliquant comment les informations, à l’intérieur d’un trou noir, peuvent rester connectées à l’espace environnant.
Plus précisément, les chercheurs ont comparé les champs gravitationnels de deux étoiles ayant la même masse totale et le même rayon, mais des compositions différentes. En physique classique, les deux étoiles ont le même potentiel gravitationnel, mais au niveau quantique, le potentiel dépend de la composition de l’étoile. Lorsque les étoiles s’effondrent en trous noirs, leurs champs gravitationnels préservent la mémoire de la composition des étoiles et conduisent à la conclusion que les trous noirs ont des cheveux. Ces cheveux ou informations sur la matière tombée dans le trou noir laisseraient une trace de leur passage, nous donnant accès, théoriquement, à la composition du trou noir.
Malheureusement, aucun moyen évident ne permet pour le moment de tester la théorie avec des observations astronomiques, les fluctuations gravitationnelles seraient trop petites pour être mesurées.
Le professeur Calmet conclut au sujet de sa découverte, dans un communiqué : « Il faudra du temps pour que les gens l’acceptent. L’une des conséquences du paradoxe de Hawking était que la relativité générale et la mécanique quantique étaient incompatibles. Ce que nous constatons, c’est qu’elles sont tout à fait compatibles. Il faudra donc du temps pour que les gens acceptent qu’il ne soit pas nécessaire de trouver une solution radicale pour résoudre le problème ».
Référence
L’article est publié simultanément dans les revues Physical Review Letters et Physics Letters B.Article
ABSTRACT
We explore the relationship between the quantum state of a compact matter source and of its asymptotic graviton field. For a matter source in an energy eigenstate, the graviton state is determined at leading order by the energy eigenvalue. Insofar as there are no accidental energy degeneracies there is a one to one map between graviton states on the boundary of spacetime and the matter source states. Effective field theory allows us to compute a purely quantum gravitational effect which causes the subleading asymptotic behavior of the graviton state to depend on the internal structure of the source. This establishes the existence of ubiquitous quantum hair due to gravitational effects.
- Received 18 October 2021
- Accepted 8 February 2022