Du point de vue des autorités et des médias russes, l’un des aspects principaux de la guerre entre la Russie d’un côté et l’Ukraine appuyée sur l’Occident de l’autre était le rôle central des néo-nazis ukrainiens, dits aussi banderistes, dans la vie politique du pays. Les nouvelles autorités ukrainiennes et les pays occidentaux qui les soutiennent préfèrent cependant rejeter les accusations de ce genre, les qualifiant de « propagande mensongère du Kremlin ».Mais peut-on vraiment considérer que toutes les forces « patriotiques » et « proeuropéennes », qui ont pris part au coup d’État de 2014 en Ukraine et renversé le président Viktor Ianoukovitch sont des banderistes (du nom de Stepan Bandera, nationaliste ukrainien ayant collaboré avec les nazis durant la Seconde Guerre mondiale) ? Aujourd’hui, quel rôle jouent-elles en appui du président Volodymyr Zelinsky
Depuis de nombreuses années, la vie politique ukrainienne fut déterminée via l’opposition entre deux parties du pays qui étaient plus au moins égales en termes d’électorat : c’était l’Ouest, réuni avec la région centrale, et le Sud-Est. Ces deux régions sont différentes de point de vue culturel : les habitants de l’Est parlent presque exclusivement russe, tandis que dans l’Ouest, l’ukrainien est plus répandu. Il y a aussi une différence économique : l’Est est industriel et l’Ouest est agricole.
Le nationalisme ukrainien a émergé durant le premier tiers du XXe siècle, et ressemble au nazisme allemand et à plusieurs autres idéologies d’extrême-droite de l’époque, d’où ses traits caractéristiques comme l’intolérance politique, le penchant à l’action directe et à la violence, ainsi que le refus des droits des minorités. Les nationalistes d’Ukraine estiment nécessaire de construire la nation avec une « main de fer », opprimant tous les éléments non-ukrainiens de la société. Mais il y a un problème : ces éléments non-ukrainiens représentent en Ukraine une majorité. Il y en a beaucoup même en Galicie, la région la plus ukrainophone du pays.
Analysant l’Ukraine, certains experts font une distinction entre le nationalisme modéré et le nationalisme extrême, comme chez les autres peuples européens. Mais dans ce cas-là, c’est faux. Lors de leur formation, tous les mouvements nationalistes européens étaient « modérés » et ce ne qu’après qu’ils acquéraient des ailes extrémistes. Quant au nationalisme ukrainien, cette idéologie était extrême dès le début.
Durant la Seconde Guerre mondiale, les nationalistes ukrainiens ont formé l’UPA (Armée insurrectionnelle ukrainienne). Armée de guérilla dirigée par Stepan Bandera et par sa main droite Roman Choukhevitch, elle agissait principalement dans l’Ouest du pays. Cette période fut la plus célèbre de l’histoire du nationalisme ukrainien.
Malgré des relations assez tendues avec les occupants allemands, les banderistes considéraient toujours comme leur ennemi principal l’URSS. C’était dû à l’idéologie du nationalisme ukrainien, selon laquelle c’étaient les Russes qui étaient les principaux rivaux du peuple ukrainien. L’activité de l’UPA a atteint son apogée en 1944 et 1945 et durant les premières années d’après-guerre, lorsque les banderistes se sont mis à coopérer avec les services secrets britanniques et américains.
Cependant, au milieu des années 1950, la plupart des militants nationalistes ont rendu les armes, revenant à une vie pacifique. Quant à Bandera, il s’est rendu à Munich où il vivait sous la protection de l’intelligence service britannique jusqu’en 1959, l’année où il a été assassiné par l’agent du KGB Bogdan Stachinsky. Ce dernier l’a tué à l’aide d’un pistolet spécial chargé d’une seringue avec du cyanure de potassium.
En avril 2014, le ministère russe de la Défense a rendu publics plusieurs documents portant sur les activités des banderistes durant la Seconde Guerre mondiale. Les données dévoilées mettent en lumière le soutien logistique rendu par l’UPA à l’armée allemande, ainsi que leur participation au nettoyage ethnique. Outre les Juifs, les banderistes exterminaient les représentants d’autres nations. De plus, même les Ukrainiens qui étaient contre le nationalisme, ont été soumis à la terreur de l’UPA. Néanmoins, les enfants ukrainiens apprennent aujourd’hui à honorer ces gens comme des héros.
Contrairement à l’Ukraine du Sud-Est, qui n’a pas acquis d’idéologie ni d’identité dominante après la chute de l’URSS, l’Ukraine de l’Ouest est devenue nationaliste. C’est pourquoi même lorsque les représentants du Sud-Est étaient au pouvoir à Kiev, la politique sociale du pays était toujours déterminée par les nationalistes de Galicie. Le système d’enseignement et les médias étaient imbus de nationalisme. Les enfants ukrainiens lisaient des manuels qui présentaient une vue ultra-nationaliste de l’histoire du pays. Les chaînes de télévisions diffusaient régulièrement des programmes promouvant les idées du nationalisme ukrainien.
Pour beaucoup, les années Ianoukovitch restent surtout associées à la prédation économique organisée au sommet de l’Etat et à la corruption généralisée. Les estimations de détournement varient de 10 à 40 milliards d’euros. Plusieurs enquêtes sur Victor Ianoukovitch ont été ouvertes depuis 2014, mais aucune n’a encore abouti à une condamnation.
« Juger Ianoukovitch dans des dossiers de corruption impliquerait d’enquêter sérieusement sur des gens qui sont encore là et qui sont parfois devenus des soutiens du nouveau pouvoir », expliquait au Monde Daria Kaleniouk, de l’ONG Centre d’action contre la corruption, lors de l’ouverture du procès de Ianoukovitch pour « haute trahison », à l’été 2017. Ceux-ci se retrouvent principalement au sein du Bloc d’opposition, le successeur du Parti des régions de Viktor Ianoukovitch. Plus encore, la mise au jour des relations troubles entre économie et politique constituerait une menace pour l’ensemble du système ukrainien
Le combat pour récupérer les fonds volés est tout aussi chaotique. Selon un rapport du Centre d’action contre la corruption, 50 millions d’euros devaient être récupérés en 2015 et remis au budget de l’Etat. Seuls 3 400 euros l’ont été, notamment à cause de la complexité des schémas financiers impliquant des paradis fiscaux. Des gels d’avoirs décidés en 2014 dans plusieurs pays européens ont été levés les uns après les autres, faute d’action côté ukrainien.