Il n’a jamais été indispensable pour un Etat de disposer comme le Royaume Uni de façades maritimes étendues pour espérer devenir une grande puissance maritime commerciale. Des réseaux de canaux fluviaux convenablement aménagés peuvent jouer ce rôle.
C’est ainsi que le système dit des Cinq-Mers ou officiellement le réseau unifié de voies navigables de grande profondeur en Russie d’Europe (en russe : Единая глубоководная система Европейской части Российской Федерации, ЕГТС) est un ensemble de voies de transports maritimes et fluviales entre les cinq différentes mers jouxtant la Russie d’Europe : la mer Baltique, la mer Blanche, la mer Caspienne et la mer Noire via la mer d’Azov
https://fr.wikipedia.org/wiki/Syst%C3%A8me_des_Cinq-Mers
En 2010, ce réseau de voies a transporté 70 millions de tonnes de fret et 12 millions de passagers, ce qui représente les deux tiers du transport fluvial intérieur en Russie
La profondeur est garantie à seulement 4 mètres et certaines sections sont encore moins profondes, comme Gorodets–Nijni Novgorod à 2,5 mètres et Kochetovsky Bagaïevskaïa à 3,2 mètres. Il est prévu d’augmenter la profondeur de ces sections à 4 m.
A titre de comparaison on notera que l’axe Rhin-Danube, axe majeur du transport fluvial européen a transporté en 2020 17 millions de tonnes de charbon et 28 millions de tonnes de produits divers sans mentionner les passagers
Ainsi le canal dit de Moscou, ouvert au trafic en 1937, relie la capitale aux cinq mers. Dans sa partie occidentale, le pays dispose désormais d’un système unifié en eau profonde de 6 500 kilomètres de long, sur un total de 101 000 kilomètres de voies naturelles et artificielles réparties sur l’ensemble du territoire.
La baisse du commerce fluvial et la vétusté des installations, aggravées par l’effondrement du bloc soviétique, semblaient avoir enterré les aspirations dela Russie à se muer en puissance maritime. Mais à partir de 2007-2008, Vladimir Poutine a repris à son compte le projet, et lancé des travaux de modernisation.
En 2016, le Kremlin décide d’adopter une « stratégie de développement des systèmes de transport par voie fluviale intérieure de la Fédération de Russie jusqu’en 2030 ». L’accent est alors mis sur la nécessité d’optimiser un potentiel fluvial moins coûteux en énergie, en accidents humains et en entretien d’infrastructures que le transport routier.
Face aux besoins croissants d’exportations et de développement du marché intérieur, les autorités ont programmé la construction, prévue en 2027, d’une seconde voie pour le canal Volga-Don. Le contrôle de la quasi-totalité du littoral ukrainien par les troupes russes peut aussi être analysé au regard de cette stratégie maritime. L’annexion de la Crimée, en 2014, a d’ores et déjà transformé la mer d’Azov en « lac russe ».
Vers l’Asie et la Mer Rouge
L’autre point important de ce dispositif est le port d’Astrakhan, sur la mer Caspienne. C’est ici qu’ont transité pour la première fois, le 12 juin, en pleine guerre d’Ukraine, des cargaisons russes de contreplaqué à destination de l’Inde. Astrakhan est devenu un point stratégique depuis que la Russie, l’Iran et l’Inde ont signé un accord, en septembre 2000, définissant un projet pour un corridor de transport Nord-Sud (INSTC) de plus de 7 000 kilomètres. Celui-ci prévoit de s’étendre, à travers la mer d’Oman, des ports indiens jusqu’au port sud-iranien de Bandar Abbas, où les marchandises transitent ensuite par voie terrestre en Iran, puis par la mer Caspienne vers les ports de la rive russe.
En 2020, la société indienne Container Corporation of India (Concor) et le géant russe du réseau ferroviaire Russian Railways Logistics (RZDL) ont signé un protocole d’accord sur le transport de marchandises le long de cet axe entre Saint-Pétersbourg et Bombay. Lors du VIe Sommet de la Caspienne, les pays riverains, rejoints par l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan et Turkménistan, ont renforcé leur partenariat pour consolider l’architecture logistique de cette artère Nord-Sud via Moscou, Astrakhan, Bakou, Bandar Anzali, Téhéran, Bandar Abbas et Chabahar. Les pays impliqués dans ce projet ne participent pas aux sanctions internationales contre Moscou, qui trouve ainsi un moyen d’y échapper.
La Russie s’intéresse en outre à une autre voie, celle de la mer Rouge. Le 23 février 2022, la veille du jour où a été lancée l’invasion de l’Ukraine, le numéro deux du régime militaire soudanais, le général Mohammed Hamdan Daglo « Hemetti » a été reçu à Moscou pour, notamment, y discuter le projet d’implantation d’une base russe à Port-Soudan. Celle-ci pourrait faciliter le passage de navires militaires vers la Méditerrannée où la Russie dispose déjà d’une autre base navale, à Tartous, en Syrie.
Les autres bénéficiaires de cet axe Nord-Sud en développement sont l’Iran, lui-même affaibli par des sanctions internationales, qui pourrait ainsi retrouver une position de carrefour commercial, et l’Inde qui y voit l’occasion de renforcer son influence en Iran et en Afghanistan, voire de se poser comme un acteur alternatif aux « nouvelles routes de la soie » chinoises.
Corridor maritime reliant Vladivostok à Chennai
Lors du VIIe Forum économique oriental, qui s’est tenu le 6 septembre 2022 à Vladivostok, le premier ministre Narendra Modi a évoqué cette coopération en des termes enthousiastes. « La connectivité jouera un rôle important dans le développement de nos relations à l’avenir », a-t-il assuré à Vladimir Poutine. Dans la foulée, Moscou et New Delhi ont signé un protocole d’accord sur le développement d’un autre corridor maritime reliant Vladivostok à Chennai (Madras), ville portuaire sur le golfe du Bengale, susceptible d’accroître la présence économique de l’Inde dans l’Extrême-Orient russe, aujourd’hui sous influence chinoise.