Tout le monde y a cru, les industriels, les états, l’Union européenne. C’était l’énergie verte par excellence, le nouveau pétrole ! Sauf qu’aujourd’hui tout s’arrête. Trop cher, trop instable, avec un mauvais rendement… l’emblème du développement durable est une impasse.
par Aline Nippert, publié le 24 décembre 2025
À Vendôme, en juillet dernier, sur une photo de La Nouvelle République, deux tractopelles s’activent entre des débris de chantier. Sur cette zone désormais déserte, il était prévu que l’entreprise Elogen installe une “méga-usine” de production d’électrolyseurs – des machines qui permettent de transformer des molécules d’eau en gaz hydrogène par le biais d’un courant électrique.
Mais l’industriel a finalement annoncé “suspendre” le projet au début de l’année 2025. En cause : l’absence de commandes et des difficultés financières. Même constat du côté de McPhy, lui aussi censé massifier la fabrication d’électrolyseurs près de Belfort : l’ex-“champion français de l’hydrogène”vend une partie de ses actifs après avoir cédé une partie de ses actifs à son concurrent belge John Cockerill.
Une trahison
Au niveau des sites de production d’hydrogène, sur les quinze projets en lice pour bénéficier de subventions européennes, la moitié ont finalement retiré leur dossier de candidature. Et ce n’est guère mieux à l’autre bout de la chaîne : Renault, le constructeur de bus Safra, Airbus, Alstom, jusqu’à ArcelorMittal, censé recevoir 850 millions d’euros de subventions pour installer des équipements de production d’acier à partir d’hydrogène bas carbone. Tous les programmes sont annulés ou “mis en pause”. Même le pionnier Stellantis, qui produit des utilitaires légers à hydrogène dans le Nord, s’arrete : “une trahison” pour Philippe Boucly, président de France Hydrogène, lobby de la filière française.
C’était prévisible, il n’y a plus grand monde pour croire à une économie hydrogène
Étienne Beeker, ancien conseiller scientifique chez France Stratégie
Énergie “propre”, “de demain”, voire “nouveau pétrole” ou “carburant éternel”, l’hydrogène avait été érigé en héros de la décarbonation, il incarnait le rêve de résoudre le problème du réchauffement climatique pour les transports et l’industrie. Sur la base de deux atouts majeurs : ce gaz composé de molécules à deux atomes d’hydrogène est riche en énergie, donc théoriquement utilisable comme combustible. Et il est dépourvu d’atomes de carbone, contrairement aux combustibles fossiles. Ainsi, brûler un kilo d’H2 libère trois fois plus d’énergie qu’un kilo d’essence, tout en générant seulement de l’eau. Il suffirait donc de le produire sans dégager de carbone – par électrolyse de l’eau à partir d’éoliennes ou de panneaux solaires –, pour bénéficier d’un vecteur d’énergie qui préserve la planète de la surchauffe.
Dans les années 2000, Jeremy Rifkin, influent essayiste américain, envisageait carrément de mettre en place des systèmes hydrogène au pied de chaque bâtiment de manière à “stocker” l’électricité sous forme gazeuse et compenser ainsi les variations de puissance inhérentes à la production d’électricité solaire et éolienne. Il vend alors le rêve hydrogène, au fondement de sa “troisième révolution industrielle”, sous forme de “master plan” à des collectivités, comme la région Nord-Pas-de-Calais en 2012, pour la somme de 350 000 euros.
Trop ambitieux
De retour en 2025, force est de constater que les territoires ne carburent toujours pas à l’hydrogène, au contraire. Montpellier vient de renoncer à l’acquisition de bus à hydrogène au profit de l’électrique ; Dijon abandonne l’idée de convertir l’ensemble de ses bus et bennes à ordures ; l’Ile-de-France revient sur l’ambition de déployer massivement la technologie dans la région ; Lyon lâche l’hydrogène pour la liaison vers le Val de Saône. “Je ne conseille pas aux collègues de s’engager dans le domaine de la mobilité hydrogène à court terme, sauf s’ils cherchent à apprendre à maîtriser la technologie”, témoigne Cyrille Moreau, vice-président de la métropole Rouen Normandie.
Celle-ci a engagé quelque 20 millions d’euros pour acheter des bus à hydrogène, une station-service alimentée par un électrolyseur et des panneaux solaires. Les 14 bus (sur une flotte de 400) ayant à eux seuls coûté 11,2 millions, soit « deux fois plus que des bus 100 % électriques et quatre fois plus que des bus thermiques ». Et faute d’hydrogène renouvelable disponible (l’électrolyseur acheté par la métropole n’est pas prêt), ces bus sont ravitaillés avec de l’hydrogène fossile, sans aucun bénéfice donc d’un point de vue climatique.
Objectif : neutralité carbone
Pour les industriels, les collectivités, le principal problème de l’hydrogène bas carbone, c’est son coût. Outre les investissements initiaux, le gaz produit à partir d’électricité renouvelable reste en effet deux à cinq fois plus cher que le gaz hydrogène issu de ressources fossiles. “On a oublié de se demander si le client était en mesure de payer”, analyse Philippe Boucly. “C’était prévisible ! réagit étienne Beeker, ancien conseiller scientifique chez France Stratégie, auteur d’une note d’analyse critique sur l’hydrogène dès 2014. Je pense qu’il n’y a désormais plus grand monde pour croire à l’émergence d’une économie hydrogène dans les conditions actuelles.”
Et pourtant, il y a encore cinq ans, c’était le grand emballement. En juillet 2020, cinq mois à peine après le début de la pandémie de Covid, la Commission européenne fixe un cap appelé “Stratégie hydrogène pour atteindre la neutralité climatique”. Dès juin 2020, l’Allemagne établissait sa vision stratégique, requérant 9 milliards d’euros d’investissements publics. “Elle a été pionnière en travaillant dès 2011 à son plan Energiewende après l’accident de Fukushima, avec pour but de stocker l’énergie renouvelable”, r
La France publie sa stratégie dans la précipitation, en septembre de la même année, laquelle devait être dotée de 9 milliards d’euros sur dix ans. L’Espagne et le Portugal suivent, les financements publics promis à la filière s’élevant alors à au moins 7 milliards d’euros. En tout, ce sont près de 56 milliards d’argent public qui sont promis au secteur par l’Union européenne et les États membres. Au-delà, selon l’AIE, l’Agence internationale de l’énergie, 65 pays dans le monde se sont dotés d’une stratégie, contre à peine une dizaine avant 2020.
Article repris avec quelques modifications, de Epsilon
Hydrogène, la fin d’un rêve industriel | Epsiloon
