03/11/2025 Guerre au Soudan

Le Soudan est actuellement en guerre, avec des massacres et des exactions violente dans la ville d’El-Fasher, au Darfour. 

Les Forces de soutien rapide (FSR) ont pris la ville après un an et demi de siège, et des images montrent des exactions et des violences commises par ces forces. Des milliers de civils ont fui la ville, et des témoignages de l’ONU et d’autres organisations humanitaires indiquent des exécutions sommaires, des massacres, des viols, des attaques contre des travailleurs humanitaires, des pillages, des enlèvements et des déplacements forcés. La situation humanitaire est extrêmement grave, avec des milliers de morts et des millions de personnes déplacées. 

Des dizaines de milliers de morts, des millions de personnes déplacées et un pays qui ne connaît pas le repos. Depuis deux ans, le Soudan est dévasté par une guerre opposant l’armée régulière aux paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR). Le conflit, déjà sanglant, vient de prendre un nouveau tournant avec la prise d’El-Facher par ces derniers.

La capitale du Darfour du Nord était assiégée depuis dix-huit mois et sa conquête donne le contrôle total de la province aux FSR. Ces forces, menées par le général Mohamed Daglo, y ont d’ailleurs formé une administration parallèle, dans la ville de Nyala.

Les paramilitaires dominent désormais tout l’ouest du pays, alors que l’armée contrôle le nord, l’est et le centre, y compris la capitale Khartoum et Port-Soudan, port stratégique sur la mer Rouge. C’est là que siège un gouvernement de transition formé sous l’autorité du général Abdel Fattah al-Burhane, commandant de l’armée et chef de l’Etat de facto. Le sud du Soudan, lui, est toujours le théâtre de vifs combats.

Les origines de cette guerre remontent en réalité au mois d’octobre 2021, lorsque les deux hommes ont orchestré ensemble un putsch afin d’écarter les civils du Conseil de souveraineté, institué en 2019 après l’éviction du président Omar el-Béchir. L’entente n’a pas duré entre Abdel Fattah al-Burhane et son adjoint, Mohamed Daglo, qui se sont engagés dans une guerre de pouvoir fratricide à partir de la mi-avril 2023.

Les combats ont perduré jusqu’ici et, depuis dimanche, nombre de vidéos circulent sur les réseaux sociaux montrant des hommes vêtus de l’uniforme des FSR perpétrant des exactions à El-Facher. Le Conseil de sécurité de l’ONU a exprimé sa «profonde inquiétude», évoquant des «informations crédibles d’exécutions de masse».

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a notamment déploré le «meurtre tragique de plus de 460 patients et accompagnateurs à la maternité saoudienne», seul hôpital encore partiellement opérationnel de la ville.

Malaria, choléra et famine

«L’escalade de la violence, les conditions de siège et la recrudescence de la faim et des maladies tuent des civils, y compris des enfants, et font s’effondrer un système de santé déjà fragile», a ajouté l’organisation. Elle pointe la montée de la malnutrition, qui affaiblit le système immunitaire et rend les personnes plus vulnérables aux maladies comme la malaria ou le choléra.

Ce dernier se répand particulièrement rapidement en raison du manque d’accès à l’eau potable. Selon les chiffres de l’OMS, 32 personnes sont mortes de cette maladie à El-Facher cette année, sur 272 cas rapportés.

Quelque 177.000 civils sont encore piégés dans la ville, pour l’heure coupée des secours. Plus de 36.000 personnes ont fui les violences, dont environ 23.000 vers Tawila. Celle-ci abritait déjà environ 650.000 déplacés selon les estimations de l’ONU, qui parle de la «pire crise humanitaire» de l’époque contemporaine. Dépourvus de ressources, les volontaires des cellules d’urgence sont submergés et ont appelé les Nations unies et la communauté internationale à l’aide.

Les récits des survivants, terribles, évoquent des rues semées de cadavres, des enfants abattus sous les yeux de leurs mères, des viols, la faim, la soif et la peur. Auprès de l’AFP, un membre de l’ONG ALIMA, en poste à Tawila, explique que «certains n’ont pas mangé depuis des jours et ont parcouru de longues distances à pied. D’autres ont été battus, dépouillés ou menacés sur la route. Beaucoup pleurent leurs proches.»

Le chef des paramilitaires soudanais, Mohamed Daglo, a lui-même reconnu mercredi soir une «catastrophe» à El-Facher, avant d’assurer : «La guerre nous a été imposée». Les FSR ont par ailleurs affirmé jeudi avoir arrêté plusieurs de leurs combattants soupçonnés d’exactions lors de la prise de la ville.

Le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme a alerté sur le «risque croissant d’atrocités motivées par des considérations ethniques» en rappelant le passé du Darfour, ensanglanté au début des années 2000 par les massacres et les viols des milices arabes Janjawid, dont sont issues les FSR, contre les tribus locales Massalit, Four ou Zaghawa.

Auprès de CNEWS, il décrit le scénario d’une scission «entre le Darfour d’un côté qui va survivre dans la misère et le reste du Soudan qui va se reconstruire avec les aides étrangères». Selon lui, les FSR vont continuer à «piller, massacrer, violer», détourner l’aide humanitaire envoyée par les pays voisins et s’accaparer la province, transformée en forteresse inexpugnable.

«L’armée ne va pas essayer de revenir au Darfour» affirme-t-il, mais plutôt tenter «de se refaire une santé ailleurs», en reprenant le «contrôle des régions riches du Soudan pour reconstruire une économie». Marc Lavergne souligne le fait que les FSR sont constituées de jeunes «sans avenir, sans boulot et sans éducation», devenus mercenaires pour subsister. Ils ne sont «pas capables de diriger un pays» alors que l’armée régulière, elle, est «habituée à le faire».

s la chute d’El-Facher aux mains des FSR, les violences se sont propagées, notamment dans l’Etat voisin du Kordofan-Nord. D’après Martha Ama Akyaa, sous-secrétaire générale de l’ONU chargée de l’Afrique, des informations font état «d’atrocités à large échelle» commises par les paramilitaires à Bara.

«Des attaques de drones de la part des deux parties touchent de nouveaux territoires et de nouvelles cibles. Cela inclut le Nil Bleu, Khartoum, Sennar, le Kordofan-Sud et le Darfour-Ouest, ce qui laisse penser que la portée territoriale du conflit s’élargit», a ajouté la responsable onusienne.

«La guerre n’est pas finie», confirme Marc Lavergne et l’implication de certaines puissances étrangères dans le conflit ne favorise pas l’apaisement. Les deux camps s’accusent en effet mutuellement de bénéficier de soutiens extérieurs. D’après des rapports de l’ONU, les FSR ont reçu armes et drones des Emirats arabes unis, tandis que l’armée bénéficie de l’appui de l’Egypte, de l’Arabie saoudite, de l’Iran et de la Turquie, selon des observateurs.

Un islamisme «sous le radar»

Ces pays nient toute implication mais les pourparlers menés depuis plusieurs mois par le groupe dit du «Quad», qui réunit les Etats-Unis, l’Egypte, les Emirats arabes Unis et l’Arabie saoudite, sont restés dans l’impasse. Si le conflit s’enlise, c’est aussi parce que les intérêts des uns et des autres se croisent sans jamais se rencontrer, selon Marc Lavergne.

Les intérêts matériels, économiques, territoriaux mais aussi idéologiques. D’après la revue Orient XXI, l’état major de l’armée nationale est encore largement contrôlé par des cadres du régime islamiste du président déchu Omar el-Béchir, qui auraient réactivé certains services de renseignement, milices supplétives et forces parallèles.

La junte aurait eu besoin de certains fidèles de l’ex-dictateur pour gouverner après le coup d’Etat. Malgré le démembrement partiel des institutions liées à l’ancien régime, ils n’ont donc jamais totalement disparus. Marc Lavergne évoque un islamisme «sous le radar», affirmant que «ces gens-là sont derrière l’armée», dans l’ombre, et disposent de «réseaux financiers et commerçants très puissants» qui leur octroient une certaine influence.

Le spécialiste du Soudan estime que la première étape vers l’apaisement serait évidemment l’instauration d’un cessez-le-feu. Il faudrait aussi, selon lui, «donner quelque chose à chaque camp ou bien leur tordre le bras en asséchant les aides extérieures». Marc Lavergne pointe par ailleurs la nécessité de «réguler l’exploitation d’or» car le métal précieux, source de toutes les convoitises, est devenu le nerf de la guerre entre l’armée et les paramilitaires.

L’influence des Soudanais partis à l’étranger n’est en outre pas à négliger. Le chercheur fonde en effet quelques espoirs sur ces personnes «d’envergure morale, intellectuelle ou politique» qui se sont installées aux Etats-Unis au Canada et en Europe, où elles sont «actives» dans l’opposition aux deux camps». Soutiens de «la transition démocratique qui s’est arrêtée en 2021», elles tentent ensemble de «repenser un Soudan».

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