06/10/2025 La momification des morts dans l’ancienne Chine

Références

Hsiao-chun Hung https://orcid.org/0000-0001-5794-3040 hsiao-chun.hung@anu.edu.au, Zhenhua Deng https://orcid.org/0000-0002-6412-7399 zhenhuadeng@pku.edu.cn, Yiheng Liu, +19 , and Hirofumi Matsumura https://orcid.org/0000-0001-5453-7987 hiromura@sapmed.ac.jpAuthors

June 14, 2025;

hps://doi.org/10.1073/pnas.251510312213 6151

Vol. 122 | No. 38

Significance

This finding documents smoke-dried mummification of the dead, mostly in tightly bound crouched postures, from archaeological contexts between 12,000 and 4,000 y old across a vast region encompassing Southeast Asia, southern China, and beyond. The practice continued into the ethnographic record in the New Guinea Highlands and parts of Australia. The oldest of these burials predate the mummification associated with the Chinchorro culture (7,000 cal. BP, northern Chile) and Ancient Egypt (Old Kingdom, cal. 4,500 BP). Our burial samples from Southeastern Asia highlight a remarkably enduring set of cultural beliefs and mortuary practices that persisted for over 10,000 y among hunter-gatherer communities who were related through their craniofacial attributes and genomic affinities to Indigenous New Guinea Highland and Australian populations.

Abstract

In southern China and Southeast Asia (collectively, Southeastern Asia), Terminal Pleistocene and Early to Middle Holocene (ca. 12,000 to 4,000 cal. BP) hunter-gatherer burials feature tightly crouched or squatting postures, sometimes with indications of post-mortem dismemberment. Such burials contrast strongly with the extended supine burial postures typical of subsequent Neolithic inhumations in these regions. Their contorted postures, often with traces of burning, present interpretive challenges. This study uses multiple techniques, including X-ray diffraction and Fourier-transform infrared spectroscopy, to investigate 54 pre-Neolithic burials from 11 archaeological sites located across Southeastern Asia. The findings confirm that many of these pre-Neolithic flexed and squatting burials were treated by an extended period of smoke-drying over fire, a process of mummification similar to that recorded ethnographically in some Australian and Highland New Guinea societies. Some of the analyzed archaeoll samples represent the oldest known instances of such artificial mummification in the world.

Pour en savoir plus
La momification en Egypte

S’il existe des momies dans d’assez nombreuses contrées du monde, c’est indiscutablement en Égypte que cette pratique s’est développée à grande échelle, et ce pendant plus de 3000 ans. Précisons que l’on appelle momies les corps qui ont subi un traitement conservateur propre à enrayer la putréfaction par opposition aux corps spontanément conservés à la faveur de facteurs extérieurs non intentionnels. Il reste que la frontière peut parfois être difficile à préciser et que dans l’usage courant on appelle souvent momies des corps conservés naturellement.

Le dénominateur commun des peuples « momificateurs » est leur appartenance à des zones climatiques favorisant l’apparition de momies spontanées. Ainsi, les régions désertiques ou encore certaines contrées à climat froid (Groenland, pays andins). Plus rarement, la nature chimique particulière du sol a pu contribuer à la dessiccation spontanée des corps (tourbières d’Écosse et du Danemark).

Origine

En Égypte, c’est avant tout le climat sec qui a induit l’apparition de momies spontanées. La mise au jour de défunts spontanément momifiés, probablement exhumés par les animaux du désert [1], passé la frayeur que cela a pu provoquer, a sans doute fait émerger l’idée d’une forme de survie après la mort. On ne peut dater précisément l’époque à laquelle cette idée est apparue, sans doute à la période prédynastique vers 3500-3100. On a en effet retrouvé un certain nombre de momies spontanées datant de cette période. Plusieurs sont conservées au British Museum, le fameux « Ginger » en est un excellent exemple. Il s’agit essentiellement de corps en position contractée, chez qui seuls demeurent le squelette, la peau et les phanères (ongles, cheveux). On peut admettre que la réapparition de proches spontanément momifiés a eu un effet déterminant sur l’invention de la momification et, par ailleurs, il est certain que ces réapparitions ont conduit à construire des tombes plus élaborées que les fosses sommairement recouvertes de branchages des origines. Les fosses simplement creusées deviennent des caveaux aux parois maçonnées de brique, puis, pour les plus riches, des mastabas, tombes à superstructure oblongue, d’abord en briques puis en pierre. Un puits, creusé à partir du sommet plat du mastaba, aboutissait à un caveau souvent creusé à grande profondeur (jusqu’à 30 mètres). Dès lors, voulant soustraire le corps aux agressions des animaux du désert, on le livrait aux vers nécrophages … Les Égyptiens, perpétuellement aux prises avec les nuisances que leur causait le sable, n’avaient pas compris, de prime abord, son caractère bienfaisant dans le processus de momification spontanée. Dans le même temps, les textes religieux (Textes des Pyramides) affirment l’idée d’une vie après la mort, au moins pour la personne royale. La légende d’Osiris, dieu mort et ressuscité par son épouse Isis, prend forme, même si aux débuts de la momification ce mythe n’est pas encore connu sous les formes qu’il aura bien plus tard, au Moyen Empire et surtout à partir du Nouvel Empire. Le mythe de la deuxième vie se développe, deuxième vie conditionnée par un certain nombre de rituels dont fait partie intégrante la momification. Dans l’esprit des Égyptiens, la conservation du corps était une des conditions indispensables pour assurer la deuxième vie. En effet, l’image qu’ils se font de la personne implique l’association indispensable d’élément matériels (le corps) et d’éléments invisibles (le souffle vital, la conscience, la mémoire …).

À l’origine, la momification était très imparfaite, ce qui pourrait expliquer, au moins en partie, la confection de statues inscrites au nom du mort, ces statues étant censées remplacer le corps au cas, le plus fréquent à ces époques, où il n’était pas conservé.

Technique

La technique de la momification, ou plutôt l’ensemble des gestes qui contribuent à la réalisation d’une momie, n’a été élaborée que très lentement, très progressivement. On peut considérer que le début se situe à l’Ancien Empire ou un peu plus tôt. L’abandon assez rapide de la position contractée du corps au profit d’une position allongée, que l’on constate dès le début du iiie millénaire, est sans doute le reflet des premières éviscérations abdominales, même si tous les corps n’en bénéficiaient pas et de loin. Plusieurs facteurs ont contribué à la lenteur de l’amélioration technique. Un des plus importants est qu’à l’origine, la momification est réservée au roi, à sa famille et à un nombre restreint de grands personnages. Le petit nombre de momies à confectionner, même si on tient compte de la longévité limitée, ne nécessitait pas un grand nombre d’embaumeurs, donc limitait l’accumulation de savoirs. Une autre cause de la lenteur des progrès de la momification vient du fait qu’en principe les embaumeurs ne pouvaient vérifier le résultat de leurs procédés : le retour d’expérience n’était pratiquement pas possible. La démarche mentale des anciens Égyptiens était fort éloignée de celle qu’auront les Grecs avec l’invention de la méthode expérimentale. Les seuls qui pouvaient constater l’état des défunts étaient les pilleurs de tombe. Il est bien évident que leurs activités, condamnées, ne les incitaient pas à révéler le moindre détail… Tout au plus peut-on imaginer qu’à la fin de l’Ancien Empire, lorsque les pyramides et les tombes des familles royales ont été pillées, les embaumeurs ont eu accès à ce type d’information. Le petit nombre d’embaumeurs et de momies confectionnées, la lenteur des progrès expliquent qu’on a même pu assister à des régressions dans la qualité de certaines momies. Au total, la momification ne sera vraiment efficiente qu’au Nouvel Empire, il aura fallu mille ans … Au cours du ier millénaire a.C., des techniques plus simples, moins coûteuses se développent. Hérodote, qui visite l’Égypte au ve siècle avant notre ère, le précise bien : il existe à son époque trois classes de momification accessibles en fonction des moyens financiers des familles. La dernière classe fait appel à des moyens assez sommaires mais néanmoins efficaces, ce qui permet à la quasi-total

L’élimination des organes internes

L’éviscération abdominale revêtait une importance essentielle : sans doute, elle ne contribuait que peu à la dessiccation du corps, mais elle retardait de façon importante le développement de la putréfaction. Il est plus que probable que les embaumeurs ont imité les chasseurs ou les bouchers qui, aussitôt l’animal mis à mort, s’empressaient d’en retirer les viscères. Toutefois, cette opération se heurtait certainement à une sorte de tabou : il n’est pas anodin de porter atteinte à l’intégrité du corps d’un défunt, surtout d’un être cher. On trouve la trace d’un interdit concernant l’éviscération dans un texte de l’écrivain grec Diodore qui relate que le parachiste, l’officiant chargé d’ouvrir l’abdomen à l’aide d’une pierre d’Éthiopie (silex), était chassé à coups de pierre par ses collègues, comme pour le punir d’avoir attenté à l’intégrité du mort … Cette incision était suivie de l’extraction de différents organes : les intestins, le foie, l’estomac, et les poumons, la rate étant parfois extraite par mégarde. Ces organes, momifiés à part, étaient déposés dans des vases que l’on a coutume d’appeler vases canopes. Les attaches vasculaires et péritonéales des organes étaient tranchées à l’aide d’un instrument dont on a retrouvé des exemplaires [2]. Le cœur, organe essentiel parce que réputé siège de la pensée et de la vie, devait rester dans la poitrine. Si par mégarde, il était retiré avec les poumons, on le momifiait à part et on le remettait ensuite en place. Cette éventualité s’est produite dans le cas du pharaon Ramsès ii. Les reins, la vessie, l’utérus n’étaient pas retirés. Il faut observer que l’ablation du foie et son extraction par un orifice de dimensions limitées (souvent moins de quinze centimètres) ne devait pas être facile. De même celle des poumons qu’il fallait chercher à bout de bras, l’avant-bras et le coude entrés dans la cavité abdominale. On a discuté des raisons de la position de l’incision sur le flanc gauche qui à certains égards est plutôt mal commode. Sans doute revêt-elle un caractère rituel comme le souligne J.C. Goyon. A. Macke a observé une position encore plus latérale, pratiquement postérieure de l’orifice, comme si on voulait cacher un peu plus cet acte sacrilège. Nous l’avons personnellement observé également dans un certain nombre de cas. S’il n’y avait pas eu contrainte, imposant de limiter au maximum l’atteinte portée au corps, on aurait pu effectuer une large ouverture abdominale. Par ailleurs, la place de l’officiant par rapport à la momie semble avoir été à la droite du corps, celui-ci étant couché sur le dos sur la table de momification. On voit souvent le dieu Anubis (en réalité le prêtre portant un masque à tête d’Anubis) représenté à droite de la momie sur laquelle il est en train d’officier.

D’autres techniques ont été utilisées, pouvant remplacer l’éviscération abdominale classique, en particulier celle qui consiste à effectuer l’éviscération par la voie anale, ce qui limite l’atteinte portée à l’apparence du corps. C’est, semble-t-il, la technique utilisée pour la momification des princesses de la famille de Montouhotep ii (autour de 2000 a.C.), retrouvées dans leurs tombes inviolées du complexe funéraire du roi à Deir el-Bahari. Les résultats de la momification ont été satisfaisants.

Après l’éviscération, la cavité abdominale était lavée puis on y introduisait des onguents ou encore de la résine dont les vertus antiseptiques contribuaient à la bonne conservation du corps. À la basse époque, on a pris l’habitude de replacer dans l’abdomen les viscères enlevés, puis momifiés à part : on parle alors de paquets canopes.

Une autre technique encore, concernant les viscères abdominaux, consistait à injecter un produit corrosif qui dissolvait les intestins et qui, par ses vertus antiseptiques, enrayait la putréfaction. Ce procédé était utilisé dans les momifications les plus expéditives.

La dessiccation par le natron

Le deuxième geste majeur de la momification est la dessiccation par le natron. Le natron est un mélange en proportion variable de carbonate et de chlorure de sodium associés à des impuretés diverses. On trouve du natron dans la partie occidentale du delta, au Ouadi Natroun, et le long de la Piste des Quarante Jours qui relie l’oasis de Kharga, dans le désert occidental, au Darfour. Par une mauvaise traduction du texte d’Hérodote, on a longtemps parlé de « bain de natron » et, par voie de conséquence on a cherché, en vain, d’éventuelles baignoires dans lesquelles on aurait plongé les cadavres. En fait, le corps était placé sur la table de momification, semblable à nos tables à autopsie, et recouvert par du natron à l’état de cristaux. Hérodote parle de taricheuein, saler. Les taricheutes, chargés de ce travail étaient des saleurs (le terme grec tarichos désigne le poisson séché). La preuve de l’usage du natron sous forme de cristaux a été apportée par Lucas qui a momifié des rats en essayant diverses méthodes : l’immersion des rats dans une solution de natron n’a pas permis d’obtenir des momies alors que l’usage du natron sous forme de cristaux recouvrant les animaux a été parfaitement opérant. Le mode d’action du natron est multiple. D’une part, il se comporte comme un déshydratant puissant car au terme de son action le corps a complètement perdu son eau. En fait, si cette action est assez comparable à celle du salage de la viande ou du poisson, le natron a une action plus profonde qu’un simple salage : il saponifie les graisses qui, rendues solubles, sont éliminées avec l’eau. Enfin, le natron a un pouvoir tannant, donnant à la peau l’aspect du cuir. Il est d’ailleurs encore utilisé à cet effet de nos jours. Un cas particulier est celui des 60 archers de Montouhotep ii, découverts à Deir el-Bahari, qui semblent avoir été desséchés par le contact avec le sable.

L’éviscération crânienne

Un geste de moindre importance, qui ne semble pas avoir été mis en œuvre avant le Nouvel Empire, est l’éviscération crânienne. Cette technique consistait à retirer le cerveau après avoir perforé la lame criblée de l’ethmoïde à l’aide d’une tige de bronze à l’extrémité recourbée, introduite dans la narine (le plus souvent gauche). L’officiant morcelait le cerveau et l’éliminait en versant un liquide dans la cavité crânienne. Ensuite, on introduisait dans le crâne une certaine quantité d’un produit résineux noir, rendu liquide par chauffage. Ce produit est bien visible sur les radiographies, sous forme d’un niveau horizontal. Cette éviscération n’a qu’un impact très modeste sur la conservation du corps. Il est étonnant de constater que les Égyptiens n’ont pas réalisé l’importance du cerveau, attribuant au cœur l’intelligence et les sentiments.Références

Hsiao-chun Hung https://orcid.org/0000-0001-5794-3040 hsiao-chun.hung@anu.edu.au, Zhenhua Deng https://orcid.org/0000-0002-6412-7399 zhenhuadeng@pku.edu.cn, Yiheng Liu, +19 , and Hirofumi Matsumura https://orcid.org/0000-0001-5453-7987 hiromura@sapmed.ac.jpAuthors

June 14, 2025;

hps://doi.org/10.1073/pnas.251510312213 6151

Vol. 122 | No. 38

Significance

This finding documents smoke-dried mummification of the dead, mostly in tightly bound crouched postures, from archaeological contexts between 12,000 and 4,000 y old across a vast region encompassing Southeast Asia, southern China, and beyond. The practice continued into the ethnographic record in the New Guinea Highlands and parts of Australia. The oldest of these burials predate the mummification associated with the Chinchorro culture (7,000 cal. BP, northern Chile) and Ancient Egypt (Old Kingdom, cal. 4,500 BP). Our burial samples from Southeastern Asia highlight a remarkably enduring set of cultural beliefs and mortuary practices that persisted for over 10,000 y among hunter-gatherer communities who were related through their craniofacial attributes and genomic affinities to Indigenous New Guinea Highland and Australian populations.

Abstract

In southern China and Southeast Asia (collectively, Southeastern Asia), Terminal Pleistocene and Early to Middle Holocene (ca. 12,000 to 4,000 cal. BP) hunter-gatherer burials feature tightly crouched or squatting postures, sometimes with indications of post-mortem dismemberment. Such burials contrast strongly with the extended supine burial postures typical of subsequent Neolithic inhumations in these regions. Their contorted postures, often with traces of burning, present interpretive challenges. This study uses multiple techniques, including X-ray diffraction and Fourier-transform infrared spectroscopy, to investigate 54 pre-Neolithic burials from 11 archaeological sites located across Southeastern Asia. The findings confirm that many of these pre-Neolithic flexed and squatting burials were treated by an extended period of smoke-drying over fire, a process of mummification similar to that recorded ethnographically in some Australian and Highland New Guinea societies. Some of the analyzed archaeoll samples represent the oldest known instances of such artificial mummification in the world.

Pour en savoir plus


La momification en Egypte

S’il existe des momies dans d’assez nombreuses contrées du monde, c’est indiscutablement en Égypte que cette pratique s’est développée à grande échelle, et ce pendant plus de 3000 ans. Précisons que l’on appelle momies les corps qui ont subi un traitement conservateur propre à enrayer la putréfaction par opposition aux corps spontanément conservés à la faveur de facteurs extérieurs non intentionnels. Il reste que la frontière peut parfois être difficile à préciser et que dans l’usage courant on appelle souvent momies des corps conservés naturellement.

Le dénominateur commun des peuples « momificateurs » est leur appartenance à des zones climatiques favorisant l’apparition de momies spontanées. Ainsi, les régions désertiques ou encore certaines contrées à climat froid (Groenland, pays andins). Plus rarement, la nature chimique particulière du sol a pu contribuer à la dessiccation spontanée des corps (tourbières d’Écosse et du Danemark).

Origine

En Égypte, c’est avant tout le climat sec qui a induit l’apparition de momies spontanées. La mise au jour de défunts spontanément momifiés, probablement exhumés par les animaux du désert [1], passé la frayeur que cela a pu provoquer, a sans doute fait émerger l’idée d’une forme de survie après la mort. On ne peut dater précisément l’époque à laquelle cette idée est apparue, sans doute à la période prédynastique vers 3500-3100. On a en effet retrouvé un certain nombre de momies spontanées datant de cette période. Plusieurs sont conservées au British Museum, le fameux « Ginger » en est un excellent exemple. Il s’agit essentiellement de corps en position contractée, chez qui seuls demeurent le squelette, la peau et les phanères (ongles, cheveux). On peut admettre que la réapparition de proches spontanément momifiés a eu un effet déterminant sur l’invention de la momification et, par ailleurs, il est certain que ces réapparitions ont conduit à construire des tombes plus élaborées que les fosses sommairement recouvertes de branchages des origines. Les fosses simplement creusées deviennent des caveaux aux parois maçonnées de brique, puis, pour les plus riches, des mastabas, tombes à superstructure oblongue, d’abord en briques puis en pierre. Un puits, creusé à partir du sommet plat du mastaba, aboutissait à un caveau souvent creusé à grande profondeur (jusqu’à 30 mètres). Dès lors, voulant soustraire le corps aux agressions des animaux du désert, on le livrait aux vers nécrophages … Les Égyptiens, perpétuellement aux prises avec les nuisances que leur causait le sable, n’avaient pas compris, de prime abord, son caractère bienfaisant dans le processus de momification spontanée. Dans le même temps, les textes religieux (Textes des Pyramides) affirment l’idée d’une vie après la mort, au moins pour la personne royale. La légende d’Osiris, dieu mort et ressuscité par son épouse Isis, prend forme, même si aux débuts de la momification ce mythe n’est pas encore connu sous les formes qu’il aura bien plus tard, au Moyen Empire et surtout à partir du Nouvel Empire. Le mythe de la deuxième vie se développe, deuxième vie conditionnée par un certain nombre de rituels dont fait partie intégrante la momification. Dans l’esprit des Égyptiens, la conservation du corps était une des conditions indispensables pour assurer la deuxième vie. En effet, l’image qu’ils se font de la personne implique l’association indispensable d’élément matériels (le corps) et d’éléments invisibles (le souffle vital, la conscience, la mémoire …).

À l’origine, la momification était très imparfaite, ce qui pourrait expliquer, au moins en partie, la confection de statues inscrites au nom du mort, ces statues étant censées remplacer le corps au cas, le plus fréquent à ces époques, où il n’était pas conservé.

Technique

La technique de la momification, ou plutôt l’ensemble des gestes qui contribuent à la réalisation d’une momie, n’a été élaborée que très lentement, très progressivement. On peut considérer que le début se situe à l’Ancien Empire ou un peu plus tôt. L’abandon assez rapide de la position contractée du corps au profit d’une position allongée, que l’on constate dès le début du iiie millénaire, est sans doute le reflet des premières éviscérations abdominales, même si tous les corps n’en bénéficiaient pas et de loin. Plusieurs facteurs ont contribué à la lenteur de l’amélioration technique. Un des plus importants est qu’à l’origine, la momification est réservée au roi, à sa famille et à un nombre restreint de grands personnages. Le petit nombre de momies à confectionner, même si on tient compte de la longévité limitée, ne nécessitait pas un grand nombre d’embaumeurs, donc limitait l’accumulation de savoirs. Une autre cause de la lenteur des progrès de la momification vient du fait qu’en principe les embaumeurs ne pouvaient vérifier le résultat de leurs procédés : le retour d’expérience n’était pratiquement pas possible. La démarche mentale des anciens Égyptiens était fort éloignée de celle qu’auront les Grecs avec l’invention de la méthode expérimentale. Les seuls qui pouvaient constater l’état des défunts étaient les pilleurs de tombe. Il est bien évident que leurs activités, condamnées, ne les incitaient pas à révéler le moindre détail… Tout au plus peut-on imaginer qu’à la fin de l’Ancien Empire, lorsque les pyramides et les tombes des familles royales ont été pillées, les embaumeurs ont eu accès à ce type d’information. Le petit nombre d’embaumeurs et de momies confectionnées, la lenteur des progrès expliquent qu’on a même pu assister à des régressions dans la qualité de certaines momies. Au total, la momification ne sera vraiment efficiente qu’au Nouvel Empire, il aura fallu mille ans … Au cours du ier millénaire a.C., des techniques plus simples, moins coûteuses se développent. Hérodote, qui visite l’Égypte au ve siècle avant notre ère, le précise bien : il existe à son époque trois classes de momification accessibles en fonction des moyens financiers des familles. La dernière classe fait appel à des moyens assez sommaires mais néanmoins efficaces, ce qui permet à la quasi-total

L’élimination des organes internes

L’éviscération abdominale revêtait une importance essentielle : sans doute, elle ne contribuait que peu à la dessiccation du corps, mais elle retardait de façon importante le développement de la putréfaction. Il est plus que probable que les embaumeurs ont imité les chasseurs ou les bouchers qui, aussitôt l’animal mis à mort, s’empressaient d’en retirer les viscères. Toutefois, cette opération se heurtait certainement à une sorte de tabou : il n’est pas anodin de porter atteinte à l’intégrité du corps d’un défunt, surtout d’un être cher. On trouve la trace d’un interdit concernant l’éviscération dans un texte de l’écrivain grec Diodore qui relate que le parachiste, l’officiant chargé d’ouvrir l’abdomen à l’aide d’une pierre d’Éthiopie (silex), était chassé à coups de pierre par ses collègues, comme pour le punir d’avoir attenté à l’intégrité du mort … Cette incision était suivie de l’extraction de différents organes : les intestins, le foie, l’estomac, et les poumons, la rate étant parfois extraite par mégarde. Ces organes, momifiés à part, étaient déposés dans des vases que l’on a coutume d’appeler vases canopes. Les attaches vasculaires et péritonéales des organes étaient tranchées à l’aide d’un instrument dont on a retrouvé des exemplaires [2]. Le cœur, organe essentiel parce que réputé siège de la pensée et de la vie, devait rester dans la poitrine. Si par mégarde, il était retiré avec les poumons, on le momifiait à part et on le remettait ensuite en place. Cette éventualité s’est produite dans le cas du pharaon Ramsès ii. Les reins, la vessie, l’utérus n’étaient pas retirés. Il faut observer que l’ablation du foie et son extraction par un orifice de dimensions limitées (souvent moins de quinze centimètres) ne devait pas être facile. De même celle des poumons qu’il fallait chercher à bout de bras, l’avant-bras et le coude entrés dans la cavité abdominale. On a discuté des raisons de la position de l’incision sur le flanc gauche qui à certains égards est plutôt mal commode. Sans doute revêt-elle un caractère rituel comme le souligne J.C. Goyon. A. Macke a observé une position encore plus latérale, pratiquement postérieure de l’orifice, comme si on voulait cacher un peu plus cet acte sacrilège. Nous l’avons personnellement observé également dans un certain nombre de cas. S’il n’y avait pas eu contrainte, imposant de limiter au maximum l’atteinte portée au corps, on aurait pu effectuer une large ouverture abdominale. Par ailleurs, la place de l’officiant par rapport à la momie semble avoir été à la droite du corps, celui-ci étant couché sur le dos sur la table de momification. On voit souvent le dieu Anubis (en réalité le prêtre portant un masque à tête d’Anubis) représenté à droite de la momie sur laquelle il est en train d’officier.

D’autres techniques ont été utilisées, pouvant remplacer l’éviscération abdominale classique, en particulier celle qui consiste à effectuer l’éviscération par la voie anale, ce qui limite l’atteinte portée à l’apparence du corps. C’est, semble-t-il, la technique utilisée pour la momification des princesses de la famille de Montouhotep ii (autour de 2000 a.C.), retrouvées dans leurs tombes inviolées du complexe funéraire du roi à Deir el-Bahari. Les résultats de la momification ont été satisfaisants.

Après l’éviscération, la cavité abdominale était lavée puis on y introduisait des onguents ou encore de la résine dont les vertus antiseptiques contribuaient à la bonne conservation du corps. À la basse époque, on a pris l’habitude de replacer dans l’abdomen les viscères enlevés, puis momifiés à part : on parle alors de paquets canopes.

Une autre technique encore, concernant les viscères abdominaux, consistait à injecter un produit corrosif qui dissolvait les intestins et qui, par ses vertus antiseptiques, enrayait la putréfaction. Ce procédé était utilisé dans les momifications les plus expéditives.

La dessiccation par le natron

Le deuxième geste majeur de la momification est la dessiccation par le natron. Le natron est un mélange en proportion variable de carbonate et de chlorure de sodium associés à des impuretés diverses. On trouve du natron dans la partie occidentale du delta, au Ouadi Natroun, et le long de la Piste des Quarante Jours qui relie l’oasis de Kharga, dans le désert occidental, au Darfour. Par une mauvaise traduction du texte d’Hérodote, on a longtemps parlé de « bain de natron » et, par voie de conséquence on a cherché, en vain, d’éventuelles baignoires dans lesquelles on aurait plongé les cadavres. En fait, le corps était placé sur la table de momification, semblable à nos tables à autopsie, et recouvert par du natron à l’état de cristaux. Hérodote parle de taricheuein, saler. Les taricheutes, chargés de ce travail étaient des saleurs (le terme grec tarichos désigne le poisson séché). La preuve de l’usage du natron sous forme de cristaux a été apportée par Lucas qui a momifié des rats en essayant diverses méthodes : l’immersion des rats dans une solution de natron n’a pas permis d’obtenir des momies alors que l’usage du natron sous forme de cristaux recouvrant les animaux a été parfaitement opérant. Le mode d’action du natron est multiple. D’une part, il se comporte comme un déshydratant puissant car au terme de son action le corps a complètement perdu son eau. En fait, si cette action est assez comparable à celle du salage de la viande ou du poisson, le natron a une action plus profonde qu’un simple salage : il saponifie les graisses qui, rendues solubles, sont éliminées avec l’eau. Enfin, le natron a un pouvoir tannant, donnant à la peau l’aspect du cuir. Il est d’ailleurs encore utilisé à cet effet de nos jours. Un cas particulier est celui des 60 archers de Montouhotep ii, découverts à Deir el-Bahari, qui semblent avoir été desséchés par le contact avec le sable.

L’éviscération crânienne

Un geste de moindre importance, qui ne semble pas avoir été mis en œuvre avant le Nouvel Empire, est l’éviscération crânienne. Cette technique consistait à retirer le cerveau après avoir perforé la lame criblée de l’ethmoïde à l’aide d’une tige de bronze à l’extrémité recourbée, introduite dans la narine (le plus souvent gauche). L’officiant morcelait le cerveau et l’éliminait en versant un liquide dans la cavité crânienne. Ensuite, on introduisait dans le crâne une certaine quantité d’un produit résineux noir, rendu liquide par chauffage. Ce produit est bien visible sur les radiographies, sous forme d’un niveau horizontal. Cette éviscération n’a qu’un impact très modeste sur la conservation du corps. Il est étonnant de constater que les Égyptiens n’ont pas réalisé l’importance du cerveau, attribuant au cœur l’intelligence et les sentiments.


Références

Hsiao-chun
Hung
https://orcid.org/0000-0001-5794-3040
hsiao-chun.hung@anu.edu.au,
Zhenhua
Deng
https://orcid.org/0000-0002-6412-7399
zhenhuadeng@pku.edu.cn,
Yiheng
Liu
, +19 , and Hirofumi
Matsumura
https://orcid.org/0000-0001-5453-7987
hiromura@sapmed.ac.jpAuthors


June 14, 2025;


hps://doi.org/10.1073/pnas.251510312213 6151

Vol. 122 | No. 38


Significance

This finding documents smoke-dried mummification of the dead,
mostly in tightly bound crouched postures, from archaeological
contexts between 12,000 and 4,000 y old across a vast region
encompassing Southeast Asia, southern China, and beyond. The practice
continued into the ethnographic record in the New Guinea Highlands
and parts of Australia. The oldest of these burials predate the
mummification associated with the Chinchorro culture (7,000 cal. BP,
northern Chile) and Ancient Egypt (Old Kingdom, cal. 4,500 BP). Our
burial samples from Southeastern Asia highlight a remarkably enduring
set of cultural beliefs and mortuary practices that persisted for
over 10,000 y among hunter-gatherer communities who were related
through their craniofacial attributes and genomic affinities to
Indigenous New Guinea Highland and Australian populations.

Abstract

In southern China and Southeast Asia (collectively, Southeastern
Asia), Terminal Pleistocene and Early to Middle Holocene (ca. 12,000
to 4,000 cal. BP) hunter-gatherer burials feature tightly crouched or
squatting postures, sometimes with indications of post-mortem
dismemberment. Such burials contrast strongly with the extended
supine burial postures typical of subsequent Neolithic inhumations in
these regions. Their contorted postures, often with traces of
burning, present interpretive challenges. This study uses multiple
techniques, including X-ray diffraction and Fourier-transform
infrared spectroscopy, to investigate 54 pre-Neolithic burials from
11 archaeological sites located across Southeastern Asia. The
findings confirm that many of these pre-Neolithic flexed and
squatting burials were treated by an extended period of smoke-drying
over fire, a process of mummification similar to that recorded
ethnographically in some Australian and Highland New Guinea
societies. Some of the analyzed archaeoll samples represent the
oldest known instances of such artificial mummification in the world.D

Pour en savoir plus


La momification en Egypte

S’il existe des momies dans d’assez
nombreuses contrées du monde, c’est indiscutablement en Égypte
que cette pratique s’est développée à grande échelle, et ce
pendant plus de 3000 ans. Précisons que l’on appelle momies les
corps qui ont subi un traitement conservateur propre à enrayer la
putréfaction par opposition aux corps spontanément conservés à
la faveur de facteurs extérieurs non intentionnels. Il reste que la
frontière peut parfois être difficile à préciser et que dans
l’usage courant on appelle souvent momies des corps conservés
naturellement.


Le dénominateur commun des peuples
« momificateurs » est leur appartenance à des zones
climatiques favorisant l’apparition de momies spontanées. Ainsi,
les régions désertiques ou encore certaines contrées à climat
froid (Groenland, pays andins). Plus rarement, la nature chimique
particulière du sol a pu contribuer à la dessiccation spontanée
des corps (tourbières d’Écosse et du Danemark).

Origine

En Égypte, c’est avant
tout le climat sec qui a induit l’apparition de momies spontanées.
La mise au jour de défunts spontanément momifiés, probablement
exhumés par les animaux du désert [1],
passé la frayeur que cela a pu provoquer, a sans doute fait émerger
l’idée d’une forme de survie après la mort. On ne peut dater
précisément l’époque à laquelle cette idée est apparue, sans
doute à la période prédynastique vers 3500-3100. On a en effet
retrouvé un certain nombre de momies spontanées datant de cette
période. Plusieurs sont conservées au British Museum, le fameux
« Ginger » en est un excellent exemple. Il s’agit
essentiellement de corps en position contractée, chez qui seuls
demeurent le squelette, la peau et les phanères (ongles, cheveux).
On peut admettre que la réapparition de proches spontanément
momifiés a eu un effet déterminant sur l’invention de la
momification et, par ailleurs, il est certain que ces réapparitions
ont conduit à construire des tombes plus élaborées que les fosses
sommairement recouvertes de branchages des origines. Les fosses
simplement creusées deviennent des caveaux aux parois maçonnées
de brique, puis, pour les plus riches, des mastabas, tombes à
superstructure oblongue, d’abord en briques puis en pierre. Un
puits, creusé à partir du sommet plat du mastaba, aboutissait à
un caveau souvent creusé à grande profondeur (jusqu’à 30
mètres). Dès lors, voulant soustraire le corps aux agressions des
animaux du désert, on le livrait aux vers nécrophages … Les
Égyptiens, perpétuellement aux prises avec les nuisances que leur
causait le sable, n’avaient pas compris, de prime abord, son
caractère bienfaisant dans le processus de momification spontanée.
Dans le même temps, les textes religieux (Textes des Pyramides)
affirment l’idée d’une vie après la mort, au moins pour la
personne royale. La légende d’Osiris, dieu mort et ressuscité
par son épouse Isis, prend forme, même si aux débuts de la
momification ce mythe n’est pas encore connu sous les formes qu’il
aura bien plus tard, au Moyen Empire et surtout à partir du Nouvel
Empire. Le mythe de la deuxième vie se développe, deuxième vie
conditionnée par un certain nombre de rituels dont fait partie
intégrante la momification. Dans l’esprit des Égyptiens, la
conservation du corps était une des conditions indispensables pour
assurer la deuxième vie. En effet, l’image qu’ils se font de la
personne implique l’association indispensable d’élément
matériels (le corps) et d’éléments invisibles (le souffle
vital, la conscience, la mémoire …).

À l’origine, la momification était très
imparfaite, ce qui pourrait expliquer, au moins en partie, la
confection de statues inscrites au nom du mort, ces statues étant
censées remplacer le corps au cas, le plus fréquent à ces
époques, où il n’était pas conservé.

Technique

La technique de la momification, ou plutôt
l’ensemble des gestes qui contribuent à la réalisation d’une
momie, n’a été élaborée que très lentement, très
progressivement. On peut considérer que le début se situe à
l’Ancien Empire ou un peu plus tôt. L’abandon assez rapide de
la position contractée du corps au profit d’une position
allongée, que l’on constate dès le début du iiie millénaire,
est sans doute le reflet des premières éviscérations abdominales,
même si tous les corps n’en bénéficiaient pas et de loin.
Plusieurs facteurs ont contribué à la lenteur de l’amélioration
technique. Un des plus importants est qu’à l’origine, la
momification est réservée au roi, à sa famille et à un nombre
restreint de grands personnages. Le petit nombre de momies à
confectionner, même si on tient compte de la longévité limitée,
ne nécessitait pas un grand nombre d’embaumeurs, donc limitait
l’accumulation de savoirs. Une autre cause de la lenteur des
progrès de la momification vient du fait qu’en principe les
embaumeurs ne pouvaient vérifier le résultat de leurs procédés :
le retour d’expérience n’était pratiquement pas possible. La
démarche mentale des anciens Égyptiens était fort éloignée de
celle qu’auront les Grecs avec l’invention de la méthode
expérimentale. Les seuls qui pouvaient constater l’état des
défunts étaient les pilleurs de tombe. Il est bien évident que
leurs activités, condamnées, ne les incitaient pas à révéler le
moindre détail… Tout au plus peut-on imaginer qu’à la fin de
l’Ancien Empire, lorsque les pyramides et les tombes des familles
royales ont été pillées, les embaumeurs ont eu accès à ce type
d’information. Le petit nombre d’embaumeurs et de momies
confectionnées, la lenteur des progrès expliquent qu’on a même
pu assister à des régressions dans la qualité de certaines
momies. Au total, la momification ne sera vraiment efficiente qu’au
Nouvel Empire, il aura fallu mille ans … Au cours du ier
millénaire a.C., des techniques plus simples, moins coûteuses se
développent. Hérodote, qui visite l’Égypte au ve siècle avant
notre ère, le précise bien : il existe à son époque trois
classes de momification accessibles en fonction des moyens
financiers des familles. La dernière classe fait appel à des
moyens assez sommaires mais néanmoins efficaces, ce qui permet à
la quasi-total

L’élimination des organes internes


L’éviscération
abdominale revêtait une importance essentielle : sans doute,
elle ne contribuait que peu à la dessiccation du corps, mais elle
retardait de façon importante le développement de la putréfaction.
Il est plus que probable que les embaumeurs ont imité les chasseurs
ou les bouchers qui, aussitôt l’animal mis à mort,
s’empressaient d’en retirer les viscères. Toutefois, cette
opération se heurtait certainement à une sorte de tabou : il
n’est pas anodin de porter atteinte à l’intégrité du corps
d’un défunt, surtout d’un être cher. On trouve la trace d’un
interdit concernant l’éviscération dans un texte de l’écrivain
grec Diodore qui relate que le parachiste, l’officiant chargé
d’ouvrir l’abdomen à l’aide d’une pierre d’Éthiopie
(silex), était chassé à coups de pierre par ses collègues, comme
pour le punir d’avoir attenté à l’intégrité du mort …
Cette incision était suivie de l’extraction de différents
organes : les intestins, le foie, l’estomac, et les poumons,
la rate étant parfois extraite par mégarde. Ces organes, momifiés
à part, étaient déposés dans des vases que l’on a coutume
d’appeler vases canopes. Les attaches vasculaires et péritonéales
des organes étaient tranchées à l’aide d’un instrument dont
on a retrouvé des exemplaires [2].
Le cœur, organe essentiel parce que réputé siège de la pensée
et de la vie, devait rester dans la poitrine. Si par mégarde, il
était retiré avec les poumons, on le momifiait à part et on le
remettait ensuite en place. Cette éventualité s’est produite
dans le cas du pharaon Ramsès ii. Les reins, la vessie, l’utérus
n’étaient pas retirés. Il faut observer que l’ablation du foie
et son extraction par un orifice de dimensions limitées (souvent
moins de quinze centimètres) ne devait pas être facile. De même
celle des poumons qu’il fallait chercher à bout de bras,
l’avant-bras et le coude entrés dans la cavité abdominale. On a
discuté des raisons de la position de l’incision sur le flanc
gauche qui à certains égards est plutôt mal commode. Sans doute
revêt-elle un caractère rituel comme le souligne J.C. Goyon. A.
Macke a observé une position encore plus latérale, pratiquement
postérieure de l’orifice, comme si on voulait cacher un peu plus
cet acte sacrilège. Nous l’avons personnellement observé
également dans un certain nombre de cas. S’il n’y avait pas eu
contrainte, imposant de limiter au maximum l’atteinte portée au
corps, on aurait pu effectuer une large ouverture abdominale. Par
ailleurs, la place de l’officiant par rapport à la momie semble
avoir été à la droite du corps, celui-ci étant couché sur le
dos sur la table de momification. On voit souvent le dieu Anubis (en
réalité le prêtre portant un masque à tête d’Anubis)
représenté à droite de la momie sur laquelle il est en train
d’officier.


D’autres techniques ont été utilisées,
pouvant remplacer l’éviscération abdominale classique, en
particulier celle qui consiste à effectuer l’éviscération par
la voie anale, ce qui limite l’atteinte portée à l’apparence
du corps. C’est, semble-t-il, la technique utilisée pour la
momification des princesses de la famille de Montouhotep ii (autour
de 2000 a.C.), retrouvées dans leurs tombes inviolées du complexe
funéraire du roi à Deir el-Bahari. Les résultats de la
momification ont été satisfaisants.


Après l’éviscération, la cavité
abdominale était lavée puis on y introduisait des onguents ou
encore de la résine dont les vertus antiseptiques contribuaient à
la bonne conservation du corps. À la basse époque, on a pris
l’habitude de replacer dans l’abdomen les viscères enlevés,
puis momifiés à part : on parle alors de paquets canopes.


Une autre technique encore, concernant les
viscères abdominaux, consistait à injecter un produit corrosif qui
dissolvait les intestins et qui, par ses vertus antiseptiques,
enrayait la putréfaction. Ce procédé était utilisé dans les
momifications les plus expéditives.

La dessiccation par le natron


Le deuxième geste majeur de la momification
est la dessiccation par le natron. Le natron est un mélange en
proportion variable de carbonate et de chlorure de sodium associés
à des impuretés diverses. On trouve du natron dans la partie
occidentale du delta, au Ouadi Natroun, et le long de la Piste des
Quarante Jours qui relie l’oasis de Kharga, dans le désert
occidental, au Darfour. Par une mauvaise traduction du texte
d’Hérodote, on a longtemps parlé de « bain de natron »
et, par voie de conséquence on a cherché, en vain, d’éventuelles
baignoires dans lesquelles on aurait plongé les cadavres. En fait,
le corps était placé sur la table de momification, semblable à
nos tables à autopsie, et recouvert par du natron à l’état de
cristaux. Hérodote parle de taricheuein, saler. Les
taricheutes, chargés de ce travail étaient des saleurs (le terme
grec tarichos désigne le poisson séché). La preuve de
l’usage du natron sous forme de cristaux a été apportée par
Lucas qui a momifié des rats en essayant diverses méthodes :
l’immersion des rats dans une solution de natron n’a pas permis
d’obtenir des momies alors que l’usage du natron sous forme de
cristaux recouvrant les animaux a été parfaitement opérant. Le
mode d’action du natron est multiple. D’une part, il se comporte
comme un déshydratant puissant car au terme de son action le corps
a complètement perdu son eau. En fait, si cette action est assez
comparable à celle du salage de la viande ou du poisson, le natron
a une action plus profonde qu’un simple salage : il saponifie
les graisses qui, rendues solubles, sont éliminées avec l’eau.
Enfin, le natron a un pouvoir tannant, donnant à la peau l’aspect
du cuir. Il est d’ailleurs encore utilisé à cet effet de nos
jours. Un cas particulier est celui des 60 archers de Montouhotep
ii, découverts à Deir el-Bahari, qui semblent avoir été
desséchés par le contact avec le sable.

L’éviscération crânienne

Un geste de moindre importance, qui ne semble
pas avoir été mis en œuvre avant le Nouvel Empire, est
l’éviscération crânienne. Cette technique consistait à retirer
le cerveau après avoir perforé la lame criblée de l’ethmoïde à
l’aide d’une tige de bronze à l’extrémité recourbée,
introduite dans la narine (le plus souvent gauche). L’officiant
morcelait le cerveau et l’éliminait en versant un liquide dans la
cavité crânienne. Ensuite, on introduisait dans le crâne une
certaine quantité d’un produit résineux noir, rendu liquide par
chauffage. Ce produit est bien visible sur les radiographies, sous
forme d’un niveau horizontal. Cette éviscération n’a qu’un
impact très modeste sur la conservation du corps. Il est étonnant
de constater que les Égyptiens n’ont pas réalisé l’importance
du cerveau, attribuant au cœur l’intelligence et les sentiments.



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