Pour la Science 2019/7 N° 501 – juillet

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Le génome d’Escherichia coli complètement recodé

Pages 6 à 7

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22/08/2025 Recodage du code génétiquue d’une bactérie

Pour supprimer des redondances dans le code génétique de la bactérie Escherichia coli, des chercheurs l’ont entièrement recodé. Et la souche produite est viable. Cette bactérie

La bactérie Escherichia coli ci-contre, un amas de ces microorganismes vu au microscope électronique) est très commune dans la flore intestinale de l’humain.

La biologie de synthèse est un domaine de recherche en plein essor. Afin de mieux comprendre les mécanismes génétiques et les lois du vivant, les scientifiques modifient de diverses façons l’ADN. En 2016, l’équipe de l’entrepreneur californien Craig Venter, spécialisé dans les biotechnologies, a synthétisé une cellule artificielle capable de se répliquer avec un nombre minimal de gènes: elle n’en comptait que 473, à comparer par exemple aux quelque 20 000 du génome humain. Par des approches similaires de suppression de gènes, d’autres chercheurs ont réussi à réduire le génome de la bactérie Escherichia coli de près de 15 %. Jason Chin, de l’université de Cambridge, et ses collègues ont adopté une autre approche. Ils ont cherché non pas à réduire la taille du génome d’E. coli, mais à remplacer certaines redondances du code génétique.

Cette tâche ambitieuse a été rendue possible grâce au développement récent de techniques de synthèse et d’assemblage de l’ADN. Cette molécule, avec sa structure en double hélice, est constituée d’une succession de bases azotées de quatre types : adénine (A), thymine (T), guanine (G) et cytosine (C). Certaines de ces séquences, contenant parfois plusieurs milliers de bases, définissent des gènes dont la transcription permet la synthèse de protéines. Ces dernières sont composées d’une suite d’acides aminés, chacun étant codé par un triplet de bases dans l’ADN, un « codon ». Par exemple, le triplet TCG code la sérine. Il existe des centaines d’acides aminés, mais les organismes vivants n’en utilisent que 20. Dès lors, 20 codons devraient suffire, mais le génome utilise tous les 43 = 64 codons possibles: 61 d’entre eux codent des acides aminés et 3 servent de codons stop qui indiquent quand se termine un gène. Il y a donc redondance, plusieurs codons étant associés au même acide aminé (par exemple, la sérine est associée à 6 codons différents). On parle alors de « code dégénéré ».

En 2013, afin d’étudier ces redondances, une équipe a supprimé un codon stop du génome d’E. coli. et l’a remplacé systématiquement par un codon équivalent. Mais cela n’avait un impact que sur un nombre limité (321) de codons dans l’ADN de la bactérie. Jason Chin et son équipe ont procédé à des modifications plus importantes. Ils ont remplacé deux codons de la sérine et un codon stop par des synonymes. Cela a impliqué de modifier pas moins de 18 214 triplets de bases.

Le nouvel ADN a été conçu sur ordinateur et synthétisé par des processus chimiques bien maîtrisés. La difficulté rencontrée par les chercheurs venait de la taille du génome de la bactérie, qui comprend 4 millions de paires de bases. Comme il ne peut être synthétisé en une fois, les chercheurs ont dû produire des fragments de 100 000 bases, qui étaient injectés au fur et à mesure dans le génome d’E. coli. Ils ont finalement obtenu une lignée de bactéries au génome complètement recodé. Nommée Syn61, cette lignée est viable, mais ses membres se reproduisent plus lentement que leurs consœurs. En outre, les images au microscope indiquent que les bactéries Syn61 sont légèrement plus longues.

La biologie de synthèse étant une discipline qui progresse vite, le record établi par l’équipe de Jason Chin ne tiendra pas très longtemps. Un consortium international achèvera bientôt la synthèse du génome complet de la levure Saccharomyces cerevisiae, soit 12 millions de paires de bases. Et la constitution d’un génome d’E. coli utilisant seulement 57 codons est aussi en cours.

Par ailleurs, le fait de réduire les redondances sur les codons présente un intérêt majeur. Il est alors possible de réaffecter un codon non utilisé et, par des opérations de génie génétique, lui faire correspondre un acide aminé que ne produisent pas les organismes vivants. Ce qui pourrait donner des protéines de synthèse aux fonctions nouvelles.

À terme, l’un des objectifs est de fabriquer des organismes spécialement conçus, par exemple, pour produire certains composés: des sortes de microusines sur mesure, à l’image des souches génétiquement modifiées d’E. coli qui produisent l’insuline humaine à destination des diabétiques.

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