Le premier consiste à réussir la montée en cadence de la fabrication de fusées pour atteindre le rythme de neuf à dix par an à l’horizon 2027, soit deux fois plus qu’Ariane-5, tout en abaissant les coûts.
Cela passe par un « changement d’état d’esprit au sein d’une industrie habituée à travailler en mode “fabrication de prototypes” plutôt qu’en filière industrielle », expliquait le président exécutif d’ArianeGroup, Martin Sion, dans un entretien au Figaro, le 7 novembre. SpaceX fait une « vraie industrialisation, là où nous sommes dans la haute couture », confiait au Monde, en juillet, Eva Berneke, la directrice générale d’Eutelsat, en ajoutant : « La vraie question est de savoir si nous serons capables d’industrialiser la chaîne spatiale en Europe pour produire des milliers de satellites tout en restant compétitifs. »
Sur le plan de l’innovation technologique, l’ouverture à la concurrence avec le développement de jeunes entreprises innovantes est une opportunité à ne pas manquer. Elle se fait lentement, alors que les Etats-Unis ont plus de dix ans d’avance. « On revient dans la course, on investit dans de nouveaux programmes, selon Philippe Baptiste, PDG du Centre national d’études spatiales, le 25 octobre, lors d’un entretien à l’Institut français des relations internationales (IFRI). La France finance quatre entreprises en train de construire de nouveaux lanceurs. »
En Allemagne et en Espagne, les projets privés avancent aussi. Pour la première fois, l’Agence spatiale européenne (ESA) a ouvert en 2023 à la compétition le choix du futur petit lanceur.
Conforter sa souveraineté
Ce passage de la politique spatiale du monopole à la compétition est un premier pas. Sa réussite suppose un nouveau cadre de coopération abandonnant la clause pénalisante du « retour géographique », qui attribue des activités aux pays en fonction de leur participation financière et non de leur compétence. Cela passe aussi par une entente entre les pays européens, et par la clarification des pouvoirs de décision entre la Commission européenne et l’ESA.
La future constellation de satellites IRIS² devrait favoriser cette transformation. Lancée par la Commission européenne en 2022, elle vise à doter l’Europe de son propre réseau Internet sécurisé pour ses opérations de défense et de télécommunications. L’accord de concession a été signé le 16 décembre avec le consortium SpaceRISE regroupant les opérateurs de satellites français Eutelsat, luxembourgeois SES et espagnol Hispasat, en vue d’une une mise en service vers 2030. Ce contrat est aussi bien venu pour Airbus et Thales Alenia Space, le besoin en gros satellites qu’ils fabriquent s’étant effondré depuis que Starlink s’est imposé.
Au plan militaire, cela permettra aux Européens de ne pas dépendre des constellations de satellites américaines telles que celles d’Elon Musk qu’il utilise selon son bon vouloir, comme l’ont montré ses interventions récentes dans la guerre menée par la Russie en Ukraine. Son entrée à la Maison Blanche aux côtés de Donald Trump, en janvier, ne fait qu’ajouter aux incertitudes. D’où l’impératif pour l’Europe d’assurer sa souveraineté politique et militaire, , comme elle l’a fait avec Galileo face au GPS américain ou en se dotant de son propre programme d’observation de la Terre, Copernicus.
Qui parlera au nom de l’Europe dans le spatial ?
Il reste que contrairement aux Etats-Unis où la Nasa et la Darpa ont toujours été étroitement associées aux réflexions et aux décisions de la Maison Blanche, aucune autorité n’existe en Europe qui soit indiscutablement capable de s’imposer aux Etats membres concernant les décisions qu’ils prennent et prendront dans le domaine spatial, tant au plan civil que militaire.
Face à la Chine, qui est la grande puissance spatiale avec laquelle les Etats européens seront obligés à l’avenir, soit de collaborer, soit de se confronter, la question se pose déjà. On se souvient qu’il y a 6 mois, une sonde chinoise s’était posée sur la face cachée de la Lune pour y ramasser deux kilos de sol lunaire afin de les envoyer sur Terre pour examen.
Qui en Europe aurait pu décider de faire de même, sans passer par la Nasa?
