Le 1er septembre 2024, deux élections ont eu lieu dans les länder de Thuringe et de Saxe en Allemagne. Que faut-il en retenir dans l’immédiat, en attendant les résultats définitifs ?
Conformément aux prévisions, le parti d’extrême-droite AfD a effectué une percée en arrivant en tête dans le premier et en deuxième dans le second, à plus de 30 % des voix. La coalition sociale-démocrate-Verts-libéraux au pouvoir a, elle, essuyé une défaite. Le parti de l’ancienne députée Die Linke Sahra Wagenknecht créé en janvier dernier, a suscité la surprise en totalisant plus de 10 % des voix dans les deux régions.
L’extrême droite allemande de l’AfD a pour la première fois remporté dimanche 1er septembre un scrutin régional, dans le Land de Thuringe (Est). Dans la Saxe voisine, où un scrutin a également lieu, ce parti est au coude à coude avec les conservateurs de la CDU pour la première place, selon des sondages de sortie des urnes.
Les scores respectifs sont entre 30,5 % et 33,5 % des voix en Thuringe, et entre 30 % et 31,5 % dans la Saxe,
Il s’agit de scores sans précédent pour ce parti qui représentent un nouveau coup dur pour la fragile coalition du chancelier Olaf Scholz.
Ces Land ne représentent pas toute l’Allemagne. On rappelera qu ‘ils sont issus de l’ancienne Allemagne de l’Est ou RDA sous tutelle communiste. Mais avec les difficultés actuelles de l’Allemagne fédérale, ils sont de plus en plus écoutés
L’Alternative pour l’Allemagne (AfD), qui combat la politique d’accueil des réfugiés a aussitôt revendiqué le pouvoir dans le Land de l’ex-RDA où elle devance très largement ses adversaires. L’AfD a reçu un « mandat clair pour gouverner », selon le co-dirigeant du parti au niveau national Tino Chrupalla, se disant prêt « à negocier avec tous les partis » pour trouver une majorité absolue.
La victoire de l’AfD en Thuringe constitue une première dans le pays depuis l’après-guerre, même s’il est improbable que la formation dirige la région. Car tous les autres partis annoncent refuser de s’allier avec lui. L’AfD pourrait tenter de négocier avec les conservateurs de la CDU, arrivés deuxième en Thuringe avec 24,5 % et premier en Saxe (de 31,5 % à 32 %).
Mais les démocrates-chrétiens de l’ex-chancelière Angela Merkel ont d’ores et déjà annoncé qu’ils ne s’allieront pas avec l’ AfD pour former une majorité gouvernementale dans les parlements des deux régions « Les électeurs savent que nous ne faisons pas de coalition avec l’AfD », selon Carsten Linnemann de la CDU, reconnaissant que trouver une majorité parlementaire « ne sera pas facile ».
Ces élections avaient valeur de test dans ces deux régions de l’ex-RDA, bastions électoraux de l’extrême droite. Elles see sont déroulés dans un contexte particulièrement tendu. L’immigration, la sécurité intérieure, mais aussi le refus des aides à l’Ukraine ont dominé la campagne. Ils ont eu lieu peu après un triple meurtre au couteau imputé à un Syrien à Solingen. une ville de l’ouest de l’Allemagne. Ce drame a bouleversé le pays et relancé un vif débat sur le contrôle de l’immigration
Les dirigeants de l’AfD ont cherché à capitaliser sur le choc suscité par l’attaque de Solingen,, accusant les gouvernements fédéraux successifs d’avoir semé le « chaos ».
Vote par conviction
Les analyses montrent que les électeurs votent pour le parti d’extrême-droite par conviction et non simplement par protestation. L’AfD est considérée comme plus compétente que d’autres pour lutter contre l’immigration ou assurer la sécurité. Le parti répond aux inquiétudes de nombreux électeurs, aux frustrations d’Allemands de l’Est qui se sentent délaissés même si leur situation matérielle n’est pas mauvaise.
Un nouveau venu, le parti BSW de l’ancienne égérie d’extrême gauche Sahra Wagenknecht, fait une percée spectaculaire. Il est crédité de scores entre 12 % et 16 % dans les deux Länder, et pourrait se poser en arbitre dans la formation à venir des gouvernements régionaux.
Aussi bien l’AfD que le BSW ont séduit par leur discours virulent contre l’immigration et en appelant à mettre un terme aux livraisons d’armes à l’Ukraine. Cette position est très populaire dans ces régions de l’ex-RDA communiste où la peur de la guerre reste profondément ancrée.
Les premiers résultats confirment aussi un nouveau revers majeur du gouvernement de coalition du chancelier avec les Verts et les libéraux du FDP, à un an des élections législatives de 2025. Les Sociaux-démocrates, les Verts et les Libéraux atteignent ensemble moins de 15 % dans chacune de ces deux régions. Déjà à un faible niveau lors du précédent mandat, le SPD enregistre un score entre 6,5 et 8,5 %.
Les Verts, eux, sont exclus du Parlement de Thuringe, et les libéraux du FDP ne seraient plus représentés dans aucune des assemblées régionales. Ces Länder, qui disposent d’importantes prérogatives dans le système allemand en matière d’éducation ou de sécurité, pourraient être gouvernés par de larges alliances hétéroclites associant droite et gauche.
Si l’AfD ne parvient pas à former un gouvernement, grâce à son tiers des sièges au parlement régional, elle disposera en revanche d’une minorité de blocage. Cela notamment pour des décisions importantes comme une réforme de la constitution ou la nomination de juges.
Annexe 1 Le poids des Turcs en Allemagne
Selon les statistiques, la communauté turque compte 2 710 000 personnes dont 1 658 083 citoyens turcs vivant en Allemagne (2011) et 840 000 citoyens allemands d’origine turque ayant au moins un parent turc, le reste de la communauté provenant des minorités turques d’autres pays, principalement de Grèce et de Bulgarie.
Les Turcs qui ont immigré en Allemagne ont amené leur culture avec leur langue, leur religion, leur nourriture et leurs arts. Ces traditions culturelles ont également été transmises à leurs descendants qui maintiennent ces valeurs. En conséquence, les Turcs d’Allemagne ont également exposé leur culture à la société allemande. Ceci est particulièrement perceptible dans le paysage en développement du pays, avec de nombreux restaurants turcs, épiceries, maisons de thé et mosquées dispersées en Allemagne. De plus, les Turcs en Allemagne ont également été exposés à la culture allemande comme en témoigne l’influence qu’il a exercée dans le dialecte turc parlé par la communauté turque en Allemagne.
Le turc est la deuxième langue la plus parlée en Allemagne, après l’allemand. Il a été apporté au pays par des immigrés turcs qui le parlent comme première langue. Ils ont principalement appris l’allemand à travers l’emploi, les médias de masse et les milieux sociaux, et il est maintenant devenu une langue secondaire pour beaucoup d’entre eux. Néanmoins, la plupart des immigrés turcs ont transmis leur langue maternelle à leurs enfants et à leurs descendants. En général, les Allemands d’origine turque deviennent bilingues à un âge précoce, apprenant le turc à la maison et l’allemand dans les écoles publiques.
L’allemand parlé par les travailleurs étrangers turcs est parfois qualifié de « Gastarbeiterdeutsch » du fait que ceux-ci maîtrisent mal les règles de base de la langue. Par exemple, le verbe employé se retrouve en position finale alors qu’il devrait être à la position 2 dans une phrase de base allemande (« ich bahnhof gehen » plutôt que « ich gehe zum Bahnhof »)
La langue turque est influencée par l’allemand et y sont ajoutées des structures grammaticales et syntaxiques allemandes. Les parents encouragent généralement leurs enfants à améliorer leurs compétences en turc en assistant à des cours privés ou en choisissant le turc comme matière à l’école. Dans certains Länder, le turc constitue une épreuve optionnelle pour l’Abitur.
Au début des années 1990, un nouveau sociolecte appelé « Kanak Sprak » ou « Türkendeutsch » a été inventé par l’auteur germano-turc Feridun Zaimoğlu pour se référer au dialecte « ghetto » allemand parlé par la jeunesse turque. Elle constitue une forme d’allemand avec des éléments de turc que les jeunes issus des milieux à forte concentration immigrée parlent, indépendamment de leurs origines ethniques.
Certains jeunes dont les parents sont Allemands emploient aussi ce dialecte qui devient en quelque sorte leur marque d’appartenance à leur quartier. Ce dialecte se manifeste par l’utilisation d’un vocabulaire simple, une omission des prépositions et des articles et une simplification des verbes couramment employés par des variantes formées des verbes faire, aller et venir (machen, gehen, kommen) par exemple : ich mach dich Krankenhaus (je te fais hôpital) pour dire ich werde dich schlagen (je vais te battre). Une utilisation d’expressions à caractère sexuel comme formes d’insulte en langue turque est aussi privilégiée par les locuteurs de ce dialecte6.
Un autre phénomène, celui du « mixing » est audible chez les jeunes des quartiers multiethniques. Cette forme de langage est surtout employée par les groupes dits des « Powergirls », qui se composent de jeunes filles de 15 à 22 ans nées de parents turcs parlant bien souvent un allemand de base. Elles semblent privilégier ce dialecte pour communiquer entre elles. Le « mixing » se manifeste par des phrases avec des mots allemands et turcs en proportion presque égale regroupés en segments qui alternent au fur et à mesure que le locuteur parle. Cette forme d’expression est revendiquée par les « Powergirls », comme façon de sortir de la microsociété des Turcs de leur quartier, qui les limite bien souvent à un rôle de femme au foyer, tout en se démarquant de la majorité allemande qui se montre parfois réfractaire à les considérer comme Allemandes. Elles se créent une nouvelle identité à travers ce dialecte
Cependant, avec la formation d’une classe moyenne turque en Allemagne, il y a un nombre croissant de personnes d’origine turque qui maîtrisent l’utilisation de l’allemand standard, en particulier dans les universités et les arts.
Annexe 2. Les milieux djihadistes en Allemagne
Dans cette étude, l’auteur, M. Guido Steinberg, analyse les milieux djihadistes en Allemagne. L’année 2016 a marqué l’apogée du terrorisme islamiste avec une série de cinq attentats. Mais aujourd’hui encore, le milieu reste dangereux et continue d’évoluer. ›
Jusqu’en 2012, le djihadisme était moins présent en Allemagne par rapport aux autres pays d’Europe occidentale. Avec sa diffusion croissante, surtout parmi les musulmans et musulmanes turcs et kurdes, le mouvement a gagné en résonance dans le pays. › Le groupe « Millatu Ibrahim » (en français Communauté d’Abraham), fondé en 2011 et dans lequel se sont recrutés nombre des premiers combattants allemands en Syrie, constitue un précurseur important. La campagne « Lies! » (Lis !) lancée fin 2011 ainsi que les mosquées djihadistes concernées ont été d’autres catalyseurs de la radicalisation et du recrutement. ›
Les combattants allemands en Syrie n’ont pas de profil socio-économique clairement identifiable. Bien que certains indices laissent penser que la marginalisation sociale et le désavantage économique jouent un rôle, de nombreux djihadistes ont une formation académique ou un baccalauréat universitaire ou professionnel. › Parmi les quelque 1 070 combattants allemands en Syrie, environ 80 pour cent ont rejoint l’organisation de l’État islamique . Un milieu allemand s’est développé à Raqqa et ses membres sont restés en contact étroit entre eux. Les membres allemands étaient pleinement intégrés dans l’organisation. Leur présence au sein de la police secrète de l’EI en est la preuve. ›
Par ailleurs, la perspective historique montre à quel point les autorités allemandes en charge de la sécurité sont dépendantes des renseignements provenant de la surveillance informatique fournis par les États-Unis.
L’architecture de la sécurité, particulièrement fragmentée en Allemagne, est également problématique. À plus long terme, il y a un risque de « sous-traiter » aux États-Unis de larges aspects de la lutte contre le terrorisme en Allemagne.
