29/08/2024 Un nouveau mécanisme de refroidissement pour les transistors de graphène

Des physiciens viennent de mettre en évidence un nouveau mécanisme de refroidissement pour les composants électroniques en graphène déposés sur du nitrure de bore. L’efficacité de ce mécanisme leur a permis d’atteindre pour la première fois des intensités électriques à la limite intrinsèque de conduction du graphène.

Du supercalculateur au smartphone, les concepteurs de matériel informatique sont confrontés à un défi majeur : évacuer toujours plus de chaleur pour éviter la dégradation voire même la destruction des composants électroniques. La physique est impitoyable : en augmentant la densité de composants sur une puce vous augmentez nécessairement la dissipation d’énergie et donc l’échauffement. Aujourd’hui, avec les matériaux lamellaires de la famille du graphène, cette question devient particulièrement aiguë, car les composants ne sont constitués que d’une seule couche d’atomes

Dans ce contexte, en réalisant un transistor à base de graphène déposé sur un substrat de nitrure de bore, des physiciens du Laboratoire Pierre Aigrain (CNRS/ENS/UPMC/Univ. Paris Diderot) ont mis à jour un nouveau mécanisme de refroidissement 10 fois plus efficace que la simple diffusion de la chaleur. Ce mécanisme, qui exploite la nature bidimensionnelle des matériaux ouvre un véritable « pont thermique » entre le graphène et le substrat.

Les chercheurs ont démontré l’efficacité de ce mécanisme en faisant circuler dans le graphène des niveaux de courant électrique encore inexplorés, à la limite intrinsèque du matériau et cela sans aucune dégradation du dispositif. Ce résultat, publié dans Nature Nanotechnology, constitue un pas important vers le développement de transistors électroniques hautefréquence à base de graphène.

Pour réaliser cette expérience, les physiciens ont tout d’abord fabriqué un transistor à base de graphène. À cet effet, ils ont déposé le graphène sur un large cristal de nitrure de bore de quelques dizaines de nanomètres d’épaisseur lui-même déposé sur une plaque en or servant de thermostat. Ils ont alors fait fonctionner ce transistor à des intensités électriques croissantes et mesuré à la fois la température des électrons et celle du cristal. La température des électrons a été déduite de la mesure des fluctuations haute fréquence du courant électrique. La température du cristal de nitrure de bore a été mesurée par spectroscopie Raman. Leur première surprise a été d’observer que seuls les électrons s’échauffent, épargnant ainsi la structure cristalline du matériau. Les chercheurs ont ensuite observé l’allumage d’un mécanisme de refroidissement des électrons ultra-efficace au-delà d’un seuil de tension. Ils ont expliqué ce phénomène par l’anisotropie diélectrique de la couche de nitrure de bore. Cette anisotropie confère à cet isolant la propriété remarquable de posséder des modes mixtes lumière-vibration appelés polaritons hyperboliques qui se propagent dans l’épaisseur du matériau dans un régime interdit à la plupart des autres isolants. Ces modes « hyperboliques » ouvrent un véritable pont thermique entre le graphène et l’électrode arrière garantissant un refroidissement 10 fois plus efficace que la simple diffusion de la chaleur.

L’équipe du LPA a montré que l’efficacité de ce mécanisme est décuplée lorsque le transistor entre dans le régime de Zener-Klein, obtenu sous très fort champ électrique dans du graphène de haute mobilité électronique. Dans ce nouveau régime, d’intérêt tout particulier pour des applications d’amplification à haute fréquence, les électrons sont directement pompés de la bande de valence à la bande de conduction par effet tunnel. Dans ces conditions, ils se couplent de manière optimale aux modes hyperboliques, permettant à la chaleur de passer directement au substrat sans endommager le réseau du graphène.

Note.

Rappelons que les semi-conducteurs sont des matériaux qui se situent entre un conducteur et un isolant : ils gèrent et contrôlent le flux de courant dans l’électronique. Ils sont souvent fabriqués à partir de matières premières comme le silicium et le germanium, l’arséniure de gallium ou le carbure de silicium.

Leur production reste un processus complexe : selon AMD, concepteur et vendeur de microprocesseurs« il faut des années de recherche et développement pour concevoir, développer, produire, commercialiser une gamme de semi-conducteurs ». Pour leur fabrication, il faut traiter du sable, le purifier, le liquéfier à 1 700 degrés pour obtenir des lingots de silicium, qui sont ensuite découpés en wafers (« gaufrettes »), de toutes petites galettes de silicium.

Avec la mondialisation et pour baisser les coûts, les acteurs se sont presque tous spécialisés dans une partie de leur chaîne de production : dans les brevets de conception (ARM), dans la conception et la vente (Qualcomm, Nvidia, Broadcom), dans la fabrication (TSMC, Global Foundries). Quelques rares entreprises maîtrisent encore toute la chaîne, comme Samsung et Intel, mais aussi les européennes STMicroelectronics et Infineon. Toutes ne produisent pas le même type de composants et certaines, comme le taïwanais TSMC, sont hyperspécialisées dans des puces très demandées, rendant leur fabrication encore plus stratégique.

Nous lisons dans Le Monde
https://www.lemonde. Le Monde fr/economie/article/2021/10/22/semi-conducteurs-que-sont-ces-puces-electroniques-dont-la-penurie-perturbe-l-economie-mondiale_6099502_3234.html

Les semi-conducteurs sont un marché en croissance quasi continue : en 2020, il représentait 442 milliards de dollars (380 milliards d’euros, + 5,4 % par rapport à 2019) et devrait continuer à croître de 17, 3 % en 2021.

La demande est tirée par plusieurs marchés : celui des mémoires qui permettent de stocker l’information ; celui des smartphones et de leurs infrastructures avec le déploiement de la 5G ; celui de l’industrie automobile (voitures électriques, voitures autonomes, contrôle des airbags, des distances de sécurité ; contrôle du moteur, de la batterie, système « start and stop », climatisation…) ; l’industrie des loisirs, avec les consoles de jeux vedettes du marché (Playstation 5 et Xbox Series X) ; l’Internet of Things (« Internet des objets », ou IoT) qui permet à des objets d’échanger des informations et de communiquer entre eux ; l’intelligence artificielle et le big data, avec des processeurs spécifiques, comme Xeon Ice Lake d’Intel.

Rendues indispensables à l’économie mondiale, ces puces électroniques sont devenues un enjeu stratégique majeur pour les grandes puissances de la planète
au cœur de la bataille que se livrent les Etats-Unis et la Chine pour la domination du secteur des hautes technologies. Si bien que les difficultés actuelles sont aussi héritières de la décision prise en septembre 2020 par Washington de restreindre la vente de technologies à SMIC, le géant chinois des semi-conducteurs, pour contrer les ambitions hégémoniques de Pékin.

La concentration géographique des lieux de production de ces puces est aujourd’hui un sujet d’inquiétudes. Une étude réalisée en avril 2021 par la Semiconductor Industry Association et le Boston Consulting Group a révélé qu’environ 75 % de la capacité mondiale de fabrication de semi-conducteurs, par exemple, est concentrée en Chine et en Asie de l’Est, une région considérablement exposée à une forte activité sismique et à des tensions géopolitiques. Et que 100 % de la capacité mondiale de fabrication des semi-conducteurs les plus avancés (inférieurs à 10 nanomètres) est actuellement située à Taïwan (92 %) et en Corée du Sud (8 %).

La multiplication des difficultés a poussé ces derniers mois les puissances mondiales à réagir pour diminuer cette dépendance. En février, Joe Biden a signé un décret présidentiel afin de sécuriser les filières d’approvisionnement américaines en puces. Les Etats-Unis ont aussi convaincu TSMC de construire une usine de dernière génération dans l’Arizona.

De son côté, Pat Gelsinger, le patron d’Intel, le géant américain du secteur, a prédit que la pénurie risquait de se poursuivre jusqu’en 2023. Dans ce contexte, il a annoncé la construction à venir de deux usines de semi-conducteurs aux Etats-Unis et la formation d’une nouvelle division aux Etats-Unis et en Europe, baptisée Intel Foundry Services, une branche de services pour les fonderies spécialisées dans ces matériaux.

En septembre, lors du salon de l’automobile de Munich, Pat Gelsinger a annoncé qu’il pourrait investir jusqu’à 80 milliards d’euros en Europe au cours des dix prochaines années afin de développer les capacités de production de semi-conducteurs sur le continent. Son groupe devrait dévoiler d’ici à la fin de l’année l’emplacement de deux nouvelles grandes usines en Europe.

La Chine, elle aussi, s’en préoccupe : sans les puces américaines, ni Alibaba ni Huawei ne seraient devenus des géants mondiaux. La Chine produit 36 % de l’électronique mondiale, mais les entreprises chinoises ne fournissent que 7,6 % des semi-conducteurs vendus à travers le monde. Raison pour laquelle Xi Jinping place « l’indépendance technologique » au cœur de nombre de ses discours ainsi que du 14e plan quinquennal (2021-2025).

L’Union européenne (UE) étudie un European Chips Act », loi européenne sur les semi-conducteurs pour défendre sa souveraineté technologique : d’ici à 2030, l’UE ambitionne de produire 20 % des semi-conducteurs dans le monde, soit un doublement de sa part actuelle.

Emmanuel Macron pour la France a présenté un plan d’investissement de 30 milliards d’euros dont six milliards seront consacrés à développer une production nationale de composants-clés,

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