13/09/2024 Champions de la longévité  avec plus de 400 ans de durée de vie.

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2024/08/13/ce-requin-dont-le-c-ur-ne-vieillit-pas-ou-si-peu_6278995_1650684.html

Vivre plusieurs siècles dans une eau glacée et la nuit éternelle , c’est le destin du requin du Groenland, espèce qui détient le record de longévité chez les vertébrés. Au moins trois cents, et peut-être cinq cents ans, selon une étude publiée en 2016.

Des scientifiques s’intéressent aux mécanismes qui pourraient expliquer la longévité exceptionnelle de ce poisson géant, qui peut atteindre 5 mètres. Depuis une décennie, les publications scientifiques s’accumulent, et le mystère s’éclaircit peu à peu.

« La première hypothèse, indique John Steffensen, professeur de biologie marine à l’université de Copenhague, au Danemark, qui organise des expéditions scientifiques pour étudier l’animal, c’est qu’il vit à très basse température. » Entre − 1,8 °C et 7,5 °C. Contrairement aux mammifères, qui maintiennent leur corps à une température constante, la température des requins suit celle de leur environnement. Quelques centaines de mètres sous la banquise, le corps du requin du Groenland descend à − 1,8 °C, le point de congélation de l’eau de mer. Si bas que son métabolisme, l’ensemble des réactions biologiques et chimiques de ses cellules, est très ralenti.

Une autre raison, c’est son mode de vie, avance Holly Shiels, professeure à la division des sciences cardio-vasculaires de l’université de Manchester, au Royaume-Uni. Il habite les profondeurs de l’océan, un lieu difficile d’accès pour les humains. Et il a très peu d’autres prédateurs. L’animal est lent, très lent. « Même quand on le relâche, il s’éloigne tout doucement

Une lenteur qui touche aussi son cœur. David McKenzie, directeur de recherche au CNRS (Montpellier), a plongé des requins dans une piscine sur un port de l’île de Disko, au Groenland, pour réaliser des électrocardiogrammes. « Leur cœur bat 4 à 6 fois par minute au repos », précise-t-il.

Une théorie, dite du « pace-of-life » (« rythme de la vie »), lie la longévité à la « rapidité » des fonctions métaboliques. Un colibri a un métabolisme et une fréquence cardiaque très rapides et vit environ trois ans. Le requin du Groenland, avec son métabolisme ralenti par le froid et son cœur très lent, vivrait au moins trois siècles. Mais cette théorie ne permet pas d’expliquer à elle seule sa longévité : « D’autres espèces arctiques ont la même fréquence cardiaque, mais des espérances de vie de vingt ou quarante ans. Il y a donc quelque chose de particulier chez lui. »

Le Français Pierre Delaroche a fait sa thèse en sciences cardio-vasculaires dans l’équipe de la biologiste britannique. Il a observé au microscope électronique les cellules cardiaques du requin. Des cellules qui semblent échapper au vieillissement. L’architecture du noyau, qui reflète l’activité des gènes, n’évolue pas avec l’âge. « Et on a observé que la quantité de mitochondries, ces petites usines de production de l’énergie cellulaire, ne diminue pas, contrairement à ce que l’on observe chez les mammifères ».

Chez les humains, l’incidence des maladies cardio-vasculaires augmente avec l’âge. « Nous ne produisons pas, ou très peu, de nouvelles cellules cardiaques. Donc notre cœur a notre âge », explique Holly Shiels. Quand nous vieillissons, il devient plus rigide – un phénomène appelé fibrose – et se remplit moins bien. « Nous avons montré que la fibrose augmente aussi avec l’âge chez le requin du Groenland, mais nous avons observé un dépôt de collagène, qui la compense, car c’est une protéine élastique. » Le cœur du requin, même à 300 ans, resterait donc souple, et pourrait garder un fonctionnement normal.

Avec son équipe, elle a aussi observé les artères coronaires, nourricières du cœur de l’animal : « Entre deux individus, l’un de 40 ans et l’autre de 200 ans, nous n’avons observé aucune différence. La maladie coronarienne, cause fréquente de dysfonctionnement cardiaque chez l’humain âgé, semble absente chez le requin du Groenland. » Le cœur humain et celui du requin sont différents dans leur anatomie, mais les mécanismes du vieillissement seraient communs

Au-delà du cœur, l’équipe britannique s’intéresse au métabolisme de ses muscles. Ewan Camplisson, doctorant, a étudié ses enzymes.

Sur les enzymes voir Wikipédia https://fr.wikipedia.org/wiki/Enzyme

Chez la plupart des animaux, la production et l’activité de ces agents qui travaillent sur la chaîne des réactions chimiques dans les cellules, tendent à diminuer avec l’âge. Mais pas chez le requin du Groenland. « Cela suggère que son métabolisme est spécial, et n’est probablement pas influencé par le vieillissement », avance Ewan Camplisson, qui a présenté ses résultats au congrès de la Société de biologie expérimentale, à Prague.

Alors, la réponse se cacherait-elle dans ses gènes ? « Pour l’instant, personne ne sait encore combien de chromosomes il possède ! »précise John Steffensen. L’étude de son code génétique ne fait que commencer. Le biologiste s’est associé à d’autres équipes pour le décrypter.

Le requin du Groenland recèle bien d’autres mystères. Personne ne sait vraiment jusqu’où s’étend son aire de répartition. En 2013, un spécimen de près de 4 mètres a été pêché dans le golfe du Mexique, à plus de 1 800 mètres de profondeur. « C’est inhabituel sous ces latitudes, mais nous pensons qu’on peut le trouver dans tout l’Atlantique Nord, très profondément, dans les eaux froides », seon le chercheur danois, qui équipe des requins de balises GPS pour mieux comprendre leurs migrations.

Une autre question intrigue particulièrement : où naissent et vivent les petits ? Les chercheurs interrogés racontent n’avoir presque jamais observé de jeunes. La grande majorité des individus capturés mesurent au moins 2 mètres, des quinquagénaires. « Pourquoi ne voyons-nous jamais de petits ? Est-ce qu’ils ont disparu parce qu’on a tué toutes les mères entre 1890 et la seconde guerre mondiale ? », s’interroge John Steffensen. En effet une génération entière aurait été anéantie à cette époque où le requin du Groenland était pêché pour l’huile de son foie, utilisée, comme celle des baleines, pour l’éclairage et l’industrie. Or, les chercheurs estiment que les femelles n’atteignent la maturité sexuelle qu’autour de 140 ans, et que leur gestation dure sept à huit ans. Un rythme de reproduction extrêmement lent, qui rend l’espèce particulièrement vulnérable.

Aujourd’hui les scientifiques craignent qu’il ne soit déjà menacé par le réchauffement climatique. Son habitat pourrait progressivement se réduire sous l’effet de l’augmentation des températures océaniques.

Source

Eye lens radiocarbon reveals centuries of longevity in the Greenland shark (Somniosus microcephalus)

Julius Nielsen and others

Science
12 Aug 2016 Vol 353, Issue 6300 pp. 702-704

DOI: 10.1126/science.aaf1703

Deep living for centuries

We tend to think of vertebrates as living about as long as we do, give or take 50 to 100 years. Marine species are likely to be very long-lived, but determining their age is particularly difficult. Nielsen et al. used the pulse of carbon-14 produced by nuclear tests in the 1950s—specifically, its incorporation into the eye during development—to determine the age of Greenland sharks. This species is large yet slow-growing. The oldest of the animals that they sampled had lived for nearly 400 years, and they conclude that the species reaches maturity at about 150 years of age.

Science, this issue p. 702

Abstract

The Greenland shark (Somniosus microcephalus), an iconic species of the Arctic Seas, grows slowly and reaches >500 centimeters (cm) in total length, suggesting a life span well beyond those of other vertebrates. Radiocarbon dating of eye lens nuclei from 28 female Greenland sharks (81 to 502 cm in total length) revealed a life span of at least 272 years. Only the smallest sharks (220 cm or less) showed signs of the radiocarbon bomb pulse, a time marker of the early 1960s. The age ranges of prebomb sharks (reported as midpoint and extent of the 95.4% probability range) revealed the age at sexual maturity to be at least 156 ± 22 years, and the largest animal (502 cm) to be 392 ± 120 years old. Our results show that the Greenland shark is the longest-lived vertebrate known, and they raise concerns about species conservation.

Laisser un commentaire