Dans les années précédentes, il était courant d’affirmer que celui qui gagnera la course à la fusion nucléaire dominera le monde. En attendant, il faut bien maitriser la fission. Il convient de se demander comment se place la Chine dans ces deux domaines
La fission nucléaire
Dans l’immédiat, trois pays dominent la fission nucléaire. En 2022, les Etats‑Unis ont produit le plus d’électricité nucléaire grâce à leurs 92 installations (deux sont en construction), devant la Chine (avec 55 réacteurs), la France (56 réacteurs), et la Russie (37 réacteurs).
Fin mars 2024, le réacteur à haute température chinois HTR-PM a été connecté au réseau de chaleur urbain. En plus de produire de l’électricité, il va fournir l’équivalent des besoins en chaleur de 1 850 foyers.
Rappelons que la Chine s’intéresse à toutes les technologies de réacteurs et à tous les usages du nucléaire. Le pays vise, entre autres, l’alimentation des réseaux de chaleur urbains grâce à des réacteurs haute température (HTR). Ainsi, fin mars 2024, le HTR de la centrale nucléaire de la baie de Shidao, dans la province du Shandong, a été connecté au réseau de chaleur.
Les réacteurs à haute température font partie des technologies de réacteurs avancés (AMR), dits de quatrième génération. Leurs caractéristiques offrent d’importantes marges de sûreté et les HTR peuvent ainsi atteindre des températures bien plus élevées que les réacteurs actuels de fission.
En l’occurrence, selon sa description technique [1], le HTR-PM atteint 750°C en sortie de cœur, contre environ 300°C dans un réacteur à eau pressurisée. De nombreux pays envisagent cette technologie comme une solution de décarbonation pour le chauffage urbain et industriel, ainsi que pour la production d’hydrogène.
Dès le début des années 2000, la Chine avait lancé la construction d’un prototype de réacteur à haute température de 10 MWth, le HTR-10 de l’Université de Tsinghua. C’est dans la continuité de ce dernier qu’en 2012 commence la construction du HTR-PM, concrétisant une importante montée en puissance. Le HTR-PM est répertorié comme un réacteur unique, mais il est en réalité composé de deux unités regroupées dans un même bâtiment. Elles partagent également une turbine pour une puissance totale de 250 MWth et 210 MWe. Connecté au réseau électrique en décembre 2021, c’est en mars 2024 que le HTR-PM a été, cette fois-ci, connecté au réseau de chaleur, permettant de répondre aux besoins de chaleur de 1 850 foyers, et permettant d’éviter l’émission de 3 700 tonnes de CO2 [2].
Sur la base du HTR-PM, la Chine travaille également à la réalisation d’une version de 600 MWth, rassemblant six modules dans un même bâtiment et actionnant une unique turbine de 650 MWe.
[1] https://nucleus.iaea.org/sites/htgr-kb/HTR2014/Paper%20list/Track1/HTR2014-11125.pdf
[2] https://www.world-nuclear-news.org/Articles/HTR-PM-heating-project-commissioned
La fusion nucléaire
Ceci étant il est urgent de trouver une nouvelle source d’énergie nucléaire à grande échelle, non émettrice de CO2, pérenne et disponible. La fusion offre les avantages suivants :
Une énergie abondante : A masse égale, la fusion d’atomes légers libère une énergie près de quatre millions de fois supérieure à celle d’une réaction chimique telle que la combustion du charbon, du pétrole ou du gaz, et quatre fois supérieure à celle des réactions de fission nucléaire. La fusion peut fournir l’énergie de base nécessaire pour satisfaire les besoins en électricité de nos villes et de nos industries.
Des millions d’années : Les éléments deutérium et tritium sont les combustibles de fusion. Le deutérium peut être obtenu à partir de l’eau ; le tritium sera produit pendant la réaction de fusion lorsque les neutrons issus de la fusion des noyaux interagiront avec le lithium des modules placés dans la chambre à vide. (Les réserves de lithium dans la croûte terrestre permettraient l’exploitation de centrales de fusion pendant plus de 1 000 ans ; celles des océans pourraient répondre aux besoins pendant des millions d’années.) La capacité de générer du tritium par le biais de la réaction de fusion, et le récupérer, est essentielle pour les futures centrales de fusion industrielles.
Aucune émission de CO₂ : La fusion ne génère pas de dioxyde de carbone ou d’autres gaz à effet de serre. Le sous-produit principal est l’hélium, un gaz inerte non toxique.
Aucun déchet radioactif de haute activité à vie longue : Les réacteurs de fusion nucléaire ne produisent pas de déchets radioactifs de haute activité à vie longue. L’activation des composants d’un réacteur de fusion devrait être suffisamment faible pour que les matériaux puissent être recyclés ou réutilisés dans les 100 ans (selon les matériaux choisis pour la première paroi) qui suivent la mise à l’arrêt de l’installation.
Aucune prolifération : La fusion n’utilise pas de matières fissiles comme l’uranium et le plutonium (le tritium radioactif n’est pas un matériau fissile ni fissionnable). Un réacteur de fusion ne contient pas d’éléments susceptibles d’être utilisés pour fabriquer des armes nucléaires.
Aucun risque de fusion du cœur : Un accident nucléaire de type Fukushima ne peut pas se produire dans un réacteur de fusion. Les conditions propices aux réactions de fusion sont difficiles à atteindre ; en cas de perturbation, le plasma se refroidit en l’espace de quelques secondes et les réactions cessent. En outre, la quantité de combustible présente dans l’enceinte est insuffisante pour alimenter les réactions au-delà de quelques secondes et une « réaction en chaîne » est inconcevable du point de vue de la physique.
Un coût équivalent : La quantité d’énergie produite par un réacteur de fusion industriel, tels qu’ils pourront voir le jour dans la seconde moitié de ce siècle, sera équivalente à celle produite par un réacteur de fission — entre 1 et 1.7 gigawatts. Le coût moyen par kilowatt d’électricité ne peut pas encore être extrapolé ; pour cela, il faudrait plusieurs années d’opération du tokamak ITER. Comme de nombreuses nouvelles technologies, les coûts seront plus élevés au début, la technologie étant nouvelle, puis décroissants par la suite dans la mesure où les économies d’échelle feront baisser les prix.
La Chine dans la fusion
La Chine dispose de six réacteurs à fusion nucléaire expérimentaux en état de fonctionnement.
Fin mai 2021, le tokamak supraconducteur expérimental avancé chinois connu sous le nom d’East – pour Experimental Advanced Superconducting Tokamak – avait pu maintenir une température de quelque 120 millions de degrés Celsius pendant 100 secondes, et même 160 millions de degrés pendant 20 secondes. Et l’Académie des sciences chinoise lui avait fixé l’objectif de dépasser les 1.000 secondes avant la fin de l’année.
Pour permettre des réactions de fusion nucléaire, un tokamak doit assurer une densité de particules suffisante pour produire le plus grand nombre de collisions possible et un temps de confinement de l’énergie assez long pour assurer des collisions à grande vitesse.
Iter
Le « soleil artificiel » chinois devrait apporter des données utiles aux équipes qui développent le projet Iter de réacteur à fusion nucléaire international basé en France. Lancé en 2006, Iter rassemble 35 pays et devrait être achevé fin 2025 — avec plus de cinq ans de retard. Pour un coût total estimé à près de 20 milliards d’euros – soit plus de trois fois le budget initial. L’assemblage du million de pièces constituant ce soleil artificiel — qui vise les 150 millions de degrés Celsius — a commencé en juillet dernier, à Saint-Paul-lès-Durance (Bouches-du-Rhône).
Mais c’est l’une des conditions établies par les physiciens pour parvenir à leur but. Pour permettre des réactions de fusion nucléaire, un tokamak doit aussi assurer une densité de particules suffisante pour produire le plus grand nombre de collisions possible et un temps de confinement de l’énergie assez long pour assurer des collisions à grande vitesse.
