Un étrange « oxygène noir » a été détecté à plus de 4 kilomètres de profondeur, dans la plaine abyssale de la zone de fracture géologique de Clarion-Clipperton, dans le centre du Pacifique.
C’est ce que précise une étude parue dans Nature Géoscience le 22 juillet 2024 dont nous publions ci-dessous les références et l’abstract.
La zone avait été retenue comme cible pour l’exploitation minière sous-marine en raison de la présence de nodules polymétalliques riches en métaux (manganèse, nickel, cobalt…) . Ceux-ci sont nécessaires notamment à la fabrication des batteries pour véhicules électriques, éoliennes, panneaux photovoltaïques et téléphones portables.
C’est dans cette zone qu’un navire de l’Association écossaise pour les sciences marines ou SAMs (https://www.sams.ac.uk/ a effectué des prélèvements, financés par les sociétés The Metals Compagny et UK Seabed Resources qui recherchent ces nodules. L’objectif des recherches est d’évaluer l’impact d’une telle prospection sur un écosystème où l’absence de lumière empêche la photosynthèse et donc la présence d’algues vertes ou de plantes, mais qui sont emplies d’espèces animales uniques.
« On essayait de mesurer la consommation d’oxygène » du plancher océanique, en mettant ses sédiments sous des cloches appelées chambres benthiques, selon le Pr Andrew Sweetman, responsable du groupe de recherche sur l’écologie et la biogéochimie des fonds marins de l’association SAMS. premier auteur des travaux parus dans Nature Geoscience.
En toute logique, l’eau de mer ainsi emprisonnée aurait dû voir sa concentration en oxygène diminuer, à mesure que ce dernier était consommé par les organismes vivants à ces profondeurs. C’est pourtant l’inverse qui a été observé : « le taux d’oxygène augmentait dans l’eau au-dessus des sédiments, dans le noir complet et donc sans photosynthèse« .
La surprise a été telle que les chercheurs ont d’abord pensé que leurs capteurs sous-marins s’étaient trompés. Ils ont mené des expériences à bord de leur navire pour voir si la même chose se produisait en surface, en faisant incuber, dans le noir, ces mêmes sédiments et les nodules qu’ils contenaient. Ils ont constaté une nouvelle fois que le taux d’oxygène croissait. « A la surface des nodules, nous avons détecté une tension électrique presque aussi élevée que dans une pile AA » décrit le Pr Sweetman, en comparant ces nodules à des « batteries dans la roche« .
Ces étonnantes propriétés pourraient être à l’origine d’un processus d’électrolyse de l’eau H2O, qui sépare ses molécules en hydrogène et en oxygène à l’aide d’un courant électrique. Cette réaction chimique intervient à partir de 1,5 volt – la tension d’une pile – que les nodules pourraient atteindre quand ils sont regroupés, selon un communiqué de l’association SAMS joint à l’étude.
« La découverte de production d’oxygène par un processus autre que la photosynthèse nous incite à repenser la manière dont est apparue la vie sur Terre« , liée à l’apparition de l’oxygène, selon le Pr Nicholas Owens, directeur de SAMS. La vision « conventionnelle » étant que l’oxygène « a été fabriqué pour la première fois il y a environ 3 milliards d’années par des cyanobactéries qui ont mené au développement d’organismes plus complexes« ,
Or « La vie aurait pu commencer ailleurs que sur la terre ferme et près de la surface de l’océan. Puisque ce processus existe sur notre planète, il pourrait générer des habitats oxygénés dans d’autres ‘mondes océaniques’ comme Encelade ou Europe (des lunes de Saturne et de Jupiter) » et y créer les conditions d’apparition d’une vie extra-terrestre.
De toutes façons ces conclusions permettront de mieux réguler l’exploitation minière en eaux profondes, sur la base d’informations environnementales plus précises.
Remerciements à Sciences et avenir https://www.sciencesetavenir.fr/fondamental/des-scientifiques-decouvrent-un-etonnant-oxygene-noir-produit-dans-les-abysses_179726
Référence
Evidence of dark oxygen production at the abyssal seafloor
- published: 22 July 2024
- Andrew K. Sweetman, and others
Nature Geoscience (2024)
https://www.nature.com/articles/s41561-024-01480-8
Abstract
Deep-seafloor organisms consume oxygen, which can be measured by in situ benthic chamber experiments. Here we report such experiments at the polymetallic nodule-covered abyssal seafloor in the Pacific Ocean in which oxygen increased over two days to more than three times the background concentration, which from ex situ incubations we attribute to the polymetallic nodules. Given high voltage potentials (up to 0.95 V) on nodule surfaces, we hypothesize that seawater electrolysis may contribute to this dark oxygen production.
