19/04/2024 Le skyrmion

Le terme skyrmion renvoie à une particule prédite par la théorie en 1962. À cette époque, la chromodynamique quantique (QCD) n’avait pas encore vu le jour. Le physicien britannique Tony Skyrme faisait alors intervenir un champ de pions pour mieux comprendre la nature des nucléons et de leur cohésion au cœur du noyau atomique. C’est dans ce cadre qu’il introduit les skyrmions comme des configurations de champs topologiquement stables.

Aujourd’hui, on parle de superposition quantique de baryons et d’états de résonance. Une définition délicate à appréhender, même pour les physiciens qui l’étudient. Plus simplement peut-être, disons que le skyrmion est constitué d’un tourbillon de spin sur une surface. Tourbillon qui peut être manipulé par la pointe d’un microscope à effet tunnel et à renfort d’un assez fort courant électrique.

Le skyrmion a été observé pour la toute première fois dans un cristal de silicium et de manganèse en 2009, par des physiciens de l’université technique de Munich. On sait aujourd’hui que les skyrmions apparaissent dans des cristaux, des condensats de Bose-Einstein, des supraconducteurs ou à l’interface entre une mince couche magnétique et un substrat de métal lourd. Là, des interactions particulières poussent les spins à former un tourbillon plutôt qu’à pointer dans une même direction comme dans les aimants.

Ce qui suscite tant d’intérêt de la part des physiciens, c’est que les skyrmions, de par leurs propriétés particulières (stabilité, petite taille, etc.), constituent des candidats potentiels à la création de nouveaux systèmes de stockage d’information plus efficaces.

Une équipe internationale de chercheurs de l’Institut Max Planck de Stuttgart, des universités de Southampton, Exeter, Warwick et Cambridge, et des synchrotrons BESSY II, SOLEIL et Diamond, coordonnée par le Pr Hatton de l’Université de Durham, a réussi à imager la structure tridimensionnelle d’un tube de skyrmion. Ce succès permettra d’étudier les mécanismes nanoscopiques qui régissent la formation et la destruction des skyrmions. Leurs travaux sont publiés dans la revue Nature Communications.

Les skyrmions, des tourbillons topologiques magnétiques nanoscopiques, sont souvent présentés comme des objets bidimensionnels semblables à des disques. Cependant, on pensait qu’en réalité ils s’étendent à travers l’épaisseur du matériau comme une sorte de long tube, cf Figure 1. En raison des limites des techniques conventionnelles d’imagerie magnétique, il n’avait pas été possible d’imager dans l’espace réel cette dimension verticale de la texture de spin des skyrmions.

Les chercheurs du Royaume-Uni, de France et d’Allemagne ont surmonté ces obstacles grâce à des techniques de microscopie et d’holographie magnétique de rayons X. « Ces skyrmions en tubes avaient seulement été montrés dans des travaux de simulation » explique Max Birch, doctorant de l’Université de Durham et premier auteur de la publication. « Nous avons trouvé comment imager expérimentalement cette dimension précédemment inexplorée de l’état des skyrmions ».

Les propriétés topologiques des skyrmions magnétiques signifient que seules de très fortes déformations peuvent les impacter, ce qui en fait des candidats possibles pour le stockage de l’information dans de futurs dispositifs. Toutefois, le contrôle efficace de la lecture et de l’écriture des skyrmions nécessite de comprendre leurs mécanismes de formation et de destruction. Le point de départ crucial est leur structure tubulaire : les skyrmions se déroulent en suivant le mouvement de singularités magnétiques appelées points de Bloch, qui agissent comme une fermeture-éclair topologique à l’extrémité de chaque tube de skyrmion. L’imagerie de ces tubes a désormais ouvert la voie vers de nouvelles recherches sur la dynamique régissant ces processus.

Les chercheurs ont utilisé des lamelles de fer-germanium (FeGe) de 120 nanomètres d’épaisseur préparées découpée grâce à un faisceau d’ions focalisés, dans lesquelles ils ont réussi à visualiser la structure tridimensionnelle des tubes de skyrmions. Le FeGe fait partie des aimants chiraux abritant des skyrmions magnétiques découverts récemment.

Entre autres instruments utilisés pour cette expérience, la station COMET de la ligne de lumière SEXTANTS a permis de mettre en œuvre les techniques d’imagerie par holographie de rayons X utilisés dans ces travaux. « L’holographie nous permet de recapturer l’information de phase d’un faisceau de rayons X diffracté. Cette information de phase est généralement perdue, ce qui rend impossible la reconstruction d’une image de l’échantillon à partir de données de diffraction de rayons X » explique Max Birch. « Grâce à sa capacité à refroidir l’échantillon à des températures cryogéniques -jusqu’à 20 degrés Kelvin- la ligne SEXTANTS de SOLEIL est la seule à pouvoir ces mesures. » Cette technique a permis aux chercheurs d’imager des skyrmions d’une taille de 70 nm, soit 100 fois inférieure au diamètre d’un cheveu humain.

Le Pr. Peter Hatton, le directeur de thèse de Max Birch à l’Université de Durham, a rassemblé une équipe internationale constituée de chercheurs de l’Institut Max Planck pour les Systèmes Intelligents à Stuttgart, des universités de Southampton, Exeter, Warwick et Cambridge, et des experts des sources de rayonnement synchrotron BESSY II en Allemagne, SOLEIL en France, et Diamond Light Source au Royaume-Uni. « Ce projet a été un véritable travail d’équipe interdisciplinaire, avec des contributions d’experts de spécialités très diverses dans la croissance de cristaux, les simulations micromagnétiques, et les méthodes d’imagerie de rayons X » déclare Pr. Hatton. Max Birch conclut que « la faculté à rassembler plusieurs instruments et techniques de rayons X ainsi qu’à tirer parti de leurs capacités uniques a joué un rôle essentiel dans la réussite de ce projet ».


Référence
Fast current-induced skyrmion motion in synthetic antiferromagnets

SCIENCE

18 Apr 2024 Vol 384, Issue 6693 pp. 307-312

DOI: 10.1126/science.add5751

Editor’s summary

Magnetic skyrmions—topologically protected spin textures—have shown promise as information carriers in spintronic devices. Although they can be manipulated with electric currents, their speeds in tracks tend to be limited by phenomena such as the skyrmion Hall effect, which deflects and damps the skyrmion motion. Pham et al. avoided this issue, typical of ferromagnets, by using an antiferromagnet instead. The synthetic antiferromagnetic material, fabricated by sputtering, was composed of two platinum/cobalt layers coupled through a thin layer of ruthenium. The authors used magnetic force microscopy to monitor the motion of skyrmions after current injections and measured skyrmion velocities of up to 900 meters per second along the current direction. —Jelena Stajic

Abstract

Magnetic skyrmions are topological magnetic textures that hold great promise as nanoscale bits of information in memory and logic devices. Although room-temperature ferromagnetic skyrmions and their current-induced manipulation have been demonstrated, their velocity has been limited to about 100 meters per second. In addition, their dynamics are perturbed by the skyrmion Hall effect, a motion transverse to the current direction caused by the skyrmion topological charge. Here, we show that skyrmions in compensated synthetic antiferromagnets can be moved by current along the current direction at velocities of up to 900 meters per second. This can be explained by the cancellation of the net topological charge leading to a vanishing skyrmion Hall effect. Our results open an important path toward the realization of logic and memory devices based on the fast manipulation of skyrmions in tracks.

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