15/04/2024 La prochaine guerre mondiale sera-t-elle une guerre entre les Etats-Unis et la Chine ?

Certains signes indiquent que Pékin et Washington se préparent à un conflit armé au sujet de Taïwan. Pékin et Washington sont en train de procéder à des manœuvres militaires, diplomatiques et économiques semi-secrètes qui pourraient entraîner un conflit mondial

Les dirigeants de Pékin et de Washington ont adopté des positions diamétralement opposées concernant l’avenir de Taïwan. Depuis près d’un an, le président Joe Biden a déclaré à plusieurs reprises qu’il défendrait l’Ile contre toute attaque de la Chine continentale. En mai dernier, en réponse à la question d’un journaliste quant à une éventuelle invasion de Taïwan par la Chine, il a prévenu que les États-Unis interviendraient militairement. Il a ensuite ajouté : « Nous sommes parfaitement d’accord avec la politique d’une seule Chine. Nous l’avons signée, ainsi que tous les accords qui en découlent, mais l’idée que l’on puisse s’emparer de Taïwan par la force, rien que par la force, n’est pas acceptable. »

Comme l’a admis Biden, Washington, en reconnaissant diplomatiquement Pékin en 1979, a en effet accepté la future souveraineté de la Chine sur Taïwan. Au cours des 40 années qui ont suivi, les présidents de tous bords ont fait des déclarations publiques pour s’opposer à l’indépendance de Taïwan. En fait, ils ont admis que l’île était une province chinoise et que son sort relevait des affaires intérieures de Pékin

Cependant, en septembre dernier, Biden a déclaré à CBS News que « oui, il était prêt à envoyer des troupes américaines pour défendre Taïwan face à une attaque en règle ». : « C’est à Taïwan d’être seule juge de son indépendance… La décision lui appartient. »

Dans les semaines qui ont suivi, lors d’un congrès du parti communiste, le président chinois Xi Jinping a répliqué par un engagement en faveur de la réunification avec Taïwan, par la force si nécessaire. « Nous nous efforçons de parvenir à une réunification pacifique, a-t-il déclaré, mais nous ne renoncerons jamais à recourir à la force et nous nous réservons le droit de prendre toutes les mesures nécessaires. à cette fin».

En janvier 2004,un général de l’armée de l’air américaine, Mike Minihan, a envoyé une note officielle à son département de la mobilité aérienne, composé de 500 avions et de 50 000 soldats, leur intimant l’ordre d’intensifier leur entraînement en vue d’une guerre avec la Chine. « Mon instinct me dit, concluait-il, que nous nous battrons en 2025. » Au lieu de désavouer la déclaration du général, un porte-parole du Pentagone a ajouté : « La stratégie de défense nationale précise clairement que la Chine est le défi majeur auquel est confronté le département de la défense. » .

La stratégie de défense nationale est produite par le bureau du secrétaire à la Défense des États-Unis et est signée par le secrétaire à la Défense en tant qu’orientation stratégique de base du département de la Défense des États-Unis

Lors d’une récente tournée qu’il a effectué pour rendre visite à ses alliés asiatiques, le secrétaire à la Défense, Lloyd Austin, a fait état de quelques avancées dans la préparation d’une guerre internationale mais sans nommer la Chine. Lors d’une escale à Séoul, il annoncé que les États-Unis allaient déployer des porte-avions et des avions de chasse supplémentaires dans le cadre d’exercices de tir réel accrus

Se rendant ensuite à Manille, Austin a révélé que les Philippines venaient d’accorder aux troupes américaines l’accès à quatre bases militaires supplémentaires, dont plusieurs font face à Taïwan de l’autre côté d’un étroit détroit. Ces bases étaient nécessaires, a-t-il expliqué, car « la République populaire de Chine continue de faire valoir ses revendications illégitimes » en mer de Chine méridionale.

Ces déclarations ont été le résultat de mois de diplomatie et préparent des déploiements militaires majeurs à venir. La loi cadre annuelle sur la « défense » des États-Unis pour 2023 prévoit le financement de la construction d’installations militaires un peu partout dans Pacifique. Alors même que le Japon est en train de multiplier par deux son budget de la défense, en partie pour protéger ses îles méridionales contre la Chine, les marines américains d’Okinawa prévoient d’échanger eurs chars et leur artillerie lourde contre des drones et des missiles portables beaucoup plus maniables, en constituant des « régiments côtiers » à même de se déployer rapidement sur les plus petites îles de la région.

Alors que tant Pékin que Washington envisagent une possible guerre autour de Taïwan, il est important (de se pencher sur les coûts probables d’un tel conflit. En novembre 2021, Selon Reuters, si les États-Unis décidaient de se battre pour l’île, « il n’y a aucune garantie qu’ils puissent vaincre l’ APL [Armée populaire de libération] qui est de plus en plus puissante ».

Dans son scénario le moins violent, Reuters estime que Pékin pourrait utiliser sa marine pour imposer une « quarantaine douanière » autour de Taïwan, tout en annonçant la création d’une zone d’identification de défense aérienne au-dessus de l’île et en mettant en garde le monde contre toute violation de sa souveraineté. Ensuite, pour resserrer l’étau, elle pourrait procéder à un blocus complet, en posant des mines dans les principaux ports et en coupant les câbles sous-marins. Si Washington décidait d’intervenir, ses sous-marins couleraient sans aucun doute de nombreux navires de guerre de l’APL, tandis que ses navires de surface pourraient également lancer des avions et des missiles.

Mais le puissant système de défense aérienne de la Chine tirerait sans aucun doute des milliers de missiles, infligeant ainsi de lourdes pertes à la marine américaine. Plutôt que de tenter une invasion amphibie difficile, Pékin pourrait parachever cette escalade par des attaques de missiles massives contre les villes de Taïwan jusqu’à complète capitulation des dirigeants de l’île.

Dans le scénario de Reuters relatif à une guerre totale, la décision de Pékin serait « d’organiser le débarquement amphibie et aéroporté le plus important et le plus complexe jamais tenté », cherchant à « submerger l’île avant que les États-Unis et leurs alliés ne puissent réagir ». Pour empêcher une contre-attaque américaine, l’APL pourrait tirer des missiles sur les bases américaines du Japon et de Guam. Tandis que Taïwan lancerait des avions à réaction et des missiles pour dissuader la flotte d’invasion, les groupes de combat des porte-avions américains se dirigeraient vers l’île et, « en seulement quelques heures, une guerre majeure [ferait] rage en Asie de l’Est ».

En août 2022, la Brookings Institution a publié des estimations plus précises quant aux pertes probables résultant de chaque scénario si une telle guerre devait se produire. Bien que les « spectaculaires modernisations récentes militaires de la Chine aient fortement amoindri la capacité de l’Amérique à défendre l’île », les complexités d’un tel affrontement, écrit l’analyste de la Brookings Institution, rendent « l’issue… intrinsèquement impossible à anticiper ». Une seule chose serait certaine : les pertes des deux côtés (y compris à Taïwan même) seraient dévastatrices.

Dans le premier scénario de Brookings, qui prévoit « un combat maritime livré principalement par les sous-marins », Pékin imposerait un blocus et Washington répondrait par des convois navals pour soutenir l’île. Si les États-Unis parvenaient à couper les communications de Pékin, la marine américaine ne perdrait que 12 navires de guerre et coulerait les 60 sous-marins chinois. En revanche, si la Chine maintenait ses communications, elle pourrait couler 100 navires, principalement des navires de guerre américains, mais ne perdrait que 29 sous-marins.

Dans le deuxième scénario de Brookings intitulé « Guerre sub-régionale de plus grande ampleur », les deux parties utiliseraient des avions à réaction et des missiles dans une lutte qui engloberait le sud-est de la Chine, Taïwan et les bases américaines au Japon, à Okinawa et à Guam. Si les attaques de la Chine étaient couronnées de succès, cette dernière pourrait détruire 40 à 80 navires de guerre américains et taïwanais, au prix de quelque 400 avions chinois. Si les États-Unis prenaient le dessus, ils pourraient détruire « une grande partie de l’armée chinoise dans le sud-est de la Chine », tout en abattant plus de 400 avions de l’APL, alors même qu’ils subiraient de lourdes pertes au niveau de leurs propres avions de chasse.

En se concentrant essentiellement sur les pertes militaires, qui sont déjà suffisamment terrifiantes, les deux études sous-estiment considérablement les coûts réels et la destruction potentielle de Taïwan et d’une grande partie de l’Asie de l’Est. Ma propre intuition me dit que, si la Chine imposait un blocus douanier à l’île, Washington grimacerait à l’idée de perdre des centaines d’avions et des dizaines de navires de guerre, y compris un ou deux porte-avions, et se replierait sur sa politique de toujours consistant à considérer Taïwan comme un territoire appartenant à la Chine. Toutefois, si les États-Unis contestaient cette zone d’interdiction douanière, ils devraient s’attaquer au blocus chinois et pourraient, aux yeux d’une grande partie du monde, devenir l’agresseur, ce qui du point de vue de Washington, constituerait un réel facteur de dissuasion.

Dans le cas où la Chine entreprendrait une invasion totale, Taïwan succomberait probablement en quelques jours, une fois que sa force aérienne, qui ne compte que 470 avions de combat, serait submergée par les 2 900 chasseurs à réaction de l’APL, ses 2 100 missiles supersoniques et sa marine de guerre, qui est aujourd’hui la plus importante du monde. La Chine tirant un avantage stratégique évident de la simple proximité de Taïwan, l’occupation de l’île pourrait bien être un fait accompli avant que les navires de la marine américaine n’arrivent du Japon et d’Hawaï en nombre suffisant pour défier l’énorme armada chinoise.

Toutefois, si la politique et les projets de Pékin et de Washington les entraînent dans une guerre qui ne cesserait de s’étendre, les dégâts pourraient s’avérer incalculables : des villes dévastées, des milliers de morts et l’économie mondiale, dont l’épicentre se trouve en Asie, en ruines. Espérons seulement que les dirigeants actuels de Washington et de Pékin feront preuve de plus de retenue que leurs homologues de Berlin et de Paris en août 1914, lorsque les ambitions de victoire ont déclenché une guerre qui devait laisser 20 millions de morts dans son sillage.

Source : Extraits de  Responsible Statecraft, Alfred McCoy, 04-03-2023
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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