20/06/2024 Qu’adviendrait il si la Russie ne pouvait pas l’emporter en Ukraine?

Sur le front ukrainien, la situation semble de nouveau bloquée. Après l’échec de la contre-offensive de Kiev à l’été 2023, puis l’enlisement et la nouvelle offensive russe dans la région de Kharkiv (nord-est de l’Ukraine), il semblerait que le conflit soit reparti pour un nouveau statu quo.

Alors que la Russie espérait l’épuisement de son adversaire en hommes et en matériel, le Congrès des États-Unis a voté le retour d’une aide militaire de 61 milliards de dollars, le 20 avril. De plus, le président Volodymyr Zelensky a abaissé l’âge de la conscription de 27 à 25 ans et le Parlement ukrainien a validé le fait que l’armée puisse avoir recours, sous certaines conditions, à des prisonniers.

Au même moment, le président russe Vladimir Poutine procédait au remaniement de l’establishment politico-militaire. Le 12 mai, le ministre de la Défense Sergueï Choïgou a été remplacé par Andreï Belooussov et muté au poste de secrétaire du Conseil de sécurité. . Nikolaï Patrouchev (ancien secrétaire du Conseil de sécurité de Russie) et Alexeï Dioumine (nouveau secrétaire du Conseil d’État) sont devenus les conseillers particuliers du président. Pour sa part Valeri Guerassimov reste le chef d’état-major des forces armées russes.

Bien que le budget consacré à la défense ne cesse d’augmenter, tous attendent une réforme fiscale visant à accroître les recettes de l’État russe de façon à financer l’effort de guerre. Le message est clair: pour gagner sur le temps long, il faut préparer la Russie à l’économie de guerre.

Or, cette guerre, Vladimir Poutine ne peut la gagner. Il n’en a pas les moyens économiques, mais il n’en a pas davantage les moyens militaires.

Sur le plan humain d’abord. Si les estimations varient beaucoup, des chiffres oscillant entre 300.000 et 450.000 soldats russes morts ou blessés (dont au moins 50.000 soldats tués et identifiés) depuis le début du conflit sont régulièrement avancés. De plus, selon le ministère de la Défense britannique, le chiffre des pertes tendrait à augmenter. Il est maintenant estimé à 1.000 à 1.200 soldats russes morts ou blessés par jour, la moyenne la plus élevée depuis le début de la guerre en février 2022, d’après le renseignement britannique.

Quant aux pertes matérielles de la Russie, elles sont toujours aussi difficiles à évaluer. Également selon le ministère de la Défense britannique, dans des estimations rendues publiques le 27 avril, l’armée russe aurait perdu au moins 10.000 véhicules blindés, dont le chiffre difficilement imaginable de près de 3.000 chars de combat (à peu près quinze fois la totalité du parc français!), 109 avions, 136 hélicoptères, 346 drones, 23 navires de guerre de toutes classes et plus de 1.500 pièces d’artillerie de tous types.

Au plan financier, par rapport à 2021, la Russie aura multiplié par trois ses dépenses militaires. L’estimation du budget consacré à la défense et à la sécurité était de 3,9% du produit intérieur brut (PIB) en 2023, contre 2,7% en 2021. Il l’est aux alentours de 6% en 2024, ce qui représenterait entre 30 et 40% des dépenses de l’État.

Ceci dit, la Russie est un pays pauvre. Le produit national brut (PNB) russe correspond à peu près aux PNB belge et néerlandais combinés, pour une population de près de 146 millions de personnes contre 30 millions pour la Belgique et les Pays-Bas réunis. Son économie dépend avant tout de la production de gaz et de pétrole. Si les sanctions occidentales ne l’on pas trop affectée, en raison notamment de la propension des acteurs non occidentaux ou même occidentaux à les contourner (AllemagneGrèce, etc.), elles l’ont tout de même beaucoup gênée.

D’abord, il y a eu le pari manqué du Kremlin qui ne pensait pas que les gouvernements européens auraient le «courage» de se passer du gaz russe. En conséquence, le prix du gaz a beaucoup baissé en 2023 par rapport aux hausses de 2022 (40% du gaz européen venait de Russie avant la guerre, contre 15% fin 2023). Toutefois, le prix du baril de brut de l’Oural est resté à des niveaux très élevés (il n’est jamais descendu en dessous de 55 dollars le baril). Mais le résultat, c’est que l’excédent commercial de la Russie serait de 50 milliards de dollars en 2023, contre 238 milliards en 2022. L’inflation vient de passer les 8% en mai, le taux directeur de la Banque centrale de Russie est à 16%, ce qui nuit naturellement à l’investissement du secteur privé.

NB. Rappelons que la France, grâce à l’énergie nucléaire, a pu traverser cette période à peu près convenablement.

Le Kremlin était tellement convaincu de la victoire au début de son «opération militaire spéciale» qu’il avait engagé ses matériels les plus modernes et ses meilleures troupes. Le but était non seulement de décapiter le gouvernement de Kiev et de mater l’Ukraine, mais ensuite de s’en prendre à la Moldavie, à la Géorgie et aux pays baltes, Il fallait aussi de démontrer au monde que la Russie était de retour parmi les plus grandes puissances.

Les conséquences de cette monumentale erreur furent des pertes énormes en matériels modernes, des tanks T-72B3MT-80BVM et T-90, par exemple, aux véhicules blindés dernier cri. En conséquence, depuis 2022, le ministère de la Défense russe aurait mobilisé 40% des tanks et véhicules blindés de transport de troupes soviétiques, qui attendaient dans la principale base d’équipements située en Bouriatie (Extrême-Orient russe).

De plus, selon les estimations de février 2024 du Royal United Services Institute (RUSI), groupe de réflexion britannique spécialisé dans la défense et la sécurité, environ 80% de la production mensuelle d’équipements (chars, blindés, etc.) seraient en réalité des véhicules datant de l’ère soviétique qui auraient été modernisés et réactivés.

Quant aux missiles, la Russie reste dépendante des composants électroniques occidentaux, d’où la multiplication des affaires de contrebande. Même la production de munitions souffre de carences. Toujours selon le RUSI, l’industrie d’armement russe peine à remplir les cahiers des charges. En attendant, le ministère de la Défense doit de nouveau puiser dans les stocks de l’ancienne URSS estimés à trois millions d’obus. En résumé, les stocks soviétiques s’épuisent plus rapidement que la capacité de l’appareil industriel à les remplacer avec des matériels modernes. C’est donc une situation intenable sur le temps long.

Qu’en est-il de l’option de la re-soviétisation du pays. Avec un appareil de production qui doit être modernisé, des problèmes de main-d’œuvre et pas de capacité d’endettement, Poutine  pourrait être tenté de renationaliser complètement l’économie russe. À défaut de retrouver la grandeur de l’Union soviétique, il pourrait ressusciter son modèle économique actuellement moribond.

Qu’en serait-il de l’emploi du nucléaire tactique ? Certains y pensent. Mais avec les vents d’ouest dominant dans cette partie du monde, les retombées sur le territoire russe lui-même ne seraient pas acceptées.

Source

https://www.slate.fr/story/267269/guerre-ukraine-grand-secret-vladimir-poutine-cacher-realite-pertes-armes-difficultes-economie-sanctions-occident-petrole-strategie-militaire

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