15/06/2024 La rétrocausalité dans le monde quantique

La théorie de la relativité générale d’Einstein prévoit la possibilité de déformer le temps à un degré tel qu’il se replie sur lui-même, créant ainsi une boucle temporelle. Voyager dans cette boucle signifie qu’à un moment donné, le voyageur se retrouve dans le passé et peut recommencer à revivre les jours déjà vécus, le cas échéant indéfiniment.

Ces constructions sont souvent appelées « courbes fermées de genre temps » (CTC), et communément baptisées « machines temporelles ». Les machines à remonter le temps sont un sous-produit de voyages à des vitesses plus grandes que celles de la lumière et leur compréhension peut améliorer notre connaissance du fonctionnement de l’univers. Cependant, il est admis que nul humain ne peut effectuer un tel voyage. Mais qu’en est-il des particules ?

Comme on pouvait le supposer, des physiciens ont imaginé des particules se déplaçant plus vite que la lumière. Il s’agit des tachyons. Ce terme désigne des particules hypothétiques constituant essentiellement une expérience de pensée sur la possibilité d’existence de particules atteignant des vitesses supraluminiques sans contredire la relativité. En effet, dans son article de 1967 décrivant ces particules,  le physicien Gérald Feinberg posait son « principe de réinterprétation » qui empêche d’employer les tachyons pour communiquer de l’énergie ou de l’information à vitesse supraluminique.

Au contraire des particules ordinaires, dont la vitesse est obligatoirement inférieure à celle de la lumière, les tachyons ont une vitesse obligatoirement supérieure à celle-ci. Suivant les équations de relation entre la masse et l’énergie, cela implique également que la masse au repos d’un tachyon est un nombre imaginaire.

Un tachyon ne correspondrait pas à une particule ayant une réalité matérielle mais serait une indication que la théorie dans laquelle il apparaît possède une forme d’instabilité. Dans ce cas c’est un signe que la théorie a été formulée en faisant un mauvais choix de variables. Lorsque l’on formule la théorie en prenant de bonnes variables les tachyons disparaissent.

Ceci dit, ces réflexions portent sur des particules de la physique classique. Qu’en serait-il de la physique quantique. Aujourd’hui le physicien Seth Lloyds du MIT s’efforce de montrer que ces boucles dans le passé, les CTC, seraient non seulement possibles en théorie mais réalisables en pratique.

La théorie prévoit déjà que deux particules quantiques peuvent être intriquées, quelle que soit leur distance dans l’espace et le temps. Mais il ne s’agit que de théorie. Si une expérience de ce type réussissait, elle montrerait qu’il serait pratiquement possible d’envoyer dans le passé non seulement des particules mais des messages sous la forme de signaux quantiques. Autrement dit, pourrait-on réaliser une CTC quantique ? Un succès en ce domaine obligerait à revoir en profondeur les conceptions actuelles sur l’espace et le temps

En 1991, le physicien théoricien David Deutch de l’Université d’Oxford avait proposé une CTC quantique pour résoudre le paradoxe dit de la rétrocausalité selon lequel, dans la physique classique, aucune cause actuelle ou future ne peut avoir d’effets dans le passé. Ainsi en serait-il du paradoxe dit du grand père selon lequel un voyageur dans le temps pourrait revenir dans le passé pour tuer son grand père ce qui aurait empêché celui-ci d’avoir le fils qui était devenu le père du voyageur et niant sa propre existence.

En 2010 Seth Lloyds avait repris cette hypothèse en faisant appel au principe de la « post-sélection ». Celui-ci suppose de multiplier les expériences sur une question donnée et rejeter les solutions qui n’apportent pas les résultats attendus. Ce principe est particulièrement applicable dans le monde quantique où les entités, c’est-dire en ce cas les particules, disposent d’un nombre illimité de solutions tant qu’elles n’ont pas été « observés », c-est-à-dire mesurées. Rappelons que dans le monde quantique, où l’on trouve toujours des éléments d’incertitude, les particules se trouvent dans un nuage d’états possibles lequel demeure tel jusqu’à que quelqu’un les observe.

Aussi Seth Lloyds et son équipe  proposèrent-ils une façon d’utiliser la post-sélection pour revenir en arrière et modifier des choses qui n’avaient jamais été observées dans le passé. Il apparut alors que la CTC quantique serait très utile en métrologie, qui est la science de la mesure. D’ores et déjà fait-on appel à celle-ci pour évaluer les champs magnétique, la lumière et même les ondes gravitationnelles. Mais comment préparer une particule de façon à la mesurer?

La meilleure solution serait de téléporter en arrière dans le temps les informations nécessaires.

L’idée a été retenue. En 2023, Nicole Halpern, de l’Université de Maryland, David Arvids Shukur, de l’Université de Cambridge et Aidan McConnel de l’Université de Zurich décrivirent une expérience de pensée précisant comment utiliser des particules pour créer la boucle temporelle imaginée par Lloyd. Ceci impliquait 4 qubits définis en l’espèce comme 4 électrons et nommés A,B, C et D.

Dans cette expérience, l’état passé de la particule A était déterminé par l’état futur des autres particules. Cette procédure est équivalente mathématiquement à renvoyer cet état en arrière dans le temps et observer ce qui en résulte (Voir NewScientist Quantuum Loops 1 june 2024, p. 34). Autrement dit, l’expérience de pensée aboutit a faire des mesures qui modifient par un recul dans le temps l’état présent des particules.

Ce n’est certes qu’une expérience de pensée, mais l’équipe prépare actuellement avec le physicien Aephraim Steinberg de l’Université de Toronto une expérience en vraie grandeur. Des photons individuels seront envoyésdans une boucle temporelle quantique.

Si l’expérience réussit, ceci ne signifiera pas qu’un humain composé de milliards de particules pourra être prochainement renvoyé dans le passé grâce à une boucle temporelle quantique. Néanmoins le regard des chercheurs sur des questions encore mal explorées en sera modifié. Affaire à suivre donc.

Bibliographie

Newscientist 1 june 2024 A loop in time p 33

David Deutsch https://journals.aps.org/prd/abstract/10.1103/PhysRevD.44.3197

Retrocausality in Quantum Mechanics https://plato.stanford.edu/archives/sum2019/entries/qm-retrocausality/

The quantum mechanics of time travel through post-selected teleportation https://arxiv.org/abs/1007.2615

Curved timelike curves https://arxiv.org/html/2405.18640v1

American Physical Society
https://link.aps.org › doi › PhysRevLett.131.150202

David Deutsch https://journals.aps.org/prd/abstract/10.1103/PhysRevD.44.3197

Retrocausality in Quantum Mechanics https://plato.stanford.edu/archives/sum2019/entries/qm-retrocausality/

Lloyd The quantum mechanics of time travel through post-selected teleportation
https://arxiv.org/abs/1007.2615

CTC curved timelike curves https://arxiv.org/html/2405.18640v1

David R. M. Arvidsson-Shukur, Aidan G. McConnell, and Nicole Yunger Halpern
Nonclassical Advantage in Metrology Established via Quantum Simulations of Hypothetical Closed Timelike Curves https://journals.aps.org/prl/abstract/10.1103/PhysRevLett.131.150202

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