Ceci ne veut pas dire que les citoyens désireux de réformer, dans tel ou tel sens, les institutions européennes, devraient s'abstenir de voter. Cela veut dire par contre que, s'ils veulent des changements ayant une quelconque portée, ils doivent d'abord les faire admettre par leurs gouvernements nationaux, soit à l'occasion des élections nationales, soit par des campagnes d'opinions menées au cours d'une mandature. Ils obligeront ainsi les Parlements ou les gouvernements nationaux à en tenir compte, dans le cadre, encore très étendu, de leurs compétences propres. Ceux-ci pourront alors mener des négociations en ce sens avec les Conseils européens, comme le cas échéant avec le Parlement européen.
Prenons la question, essentielle pour la cohésion et le renforcement de l'UE, consistant en une réforme de la fiscalité européenne. Il s'agirait de donner à l'UE des ressources fiscales lui permettant de mener des actions ambitieuses s'étendant soit à tous les Etats européens, soit aux seuls membres de l'Union monétaire dite aussi zone euro. Il faudra d'abord transformer en véritables impôts les embryons de fiscalité pan-européenne actuellement envisagés, taxe carbone ou taxe sur les transactions financières. Il faudra aussi et surtout, au sein de la zone euro, commencer à harmoniser les réglementations fiscales, sociales et réglementaires s'appliquant aux entreprises. Rien de cela ne pourra être mis en place par le seul Parlement européen, ceci quels qu'aient été les votes aux élections européennes. Il faudra qu'un ou plusieurs gouvernements nationaux en prennent la responsabilité et réussissent à convaincre de leur nécessité les autres chefs d'Etat concernés. Ceux- répercuteront alors sur le Conseil ou la Commission, voire sur le parlement européen, les désirs de leurs opinions et forces politiques nationales.
Thomas Piketty a obtenu un vif succès pour son dernier livre: « Le capital au 21e siècle ». Celui-ci avait anticipé en partie certaines des propositions de réforme fiscale en France qu'il avait défendues lors de la campagne présidentielle française. L'électeur de base, dont nous sommes, avions alors cru comprendre que le parti socialiste et le candidat Hollande reprenaient à leur compte quelques unes des réformes proposées, notamment pour rendre le système fiscal français plus égalitaire et plus simple. Le candidat Hollande devait aussi et surtout s'efforcer de convaincre de leur nécessité des poids lourds au sein de l'Europe, telle la Chancelière Merkel.
Or François Hollande, comme la majorité de gauche issue des élections, se sont empressés, sous la pression des lobbies, d'oublier toute idée de réforme fiscale, inspirée ou non des propositions de Piketty. Le même François Hollande n'exerce donc aucune pression sur ses homologues les chefs d'Etat, pour que les thèmes concernant la réforme fiscale, au moins au sein d'un noyau dur d'Etats adoptant les mêmes idées, soient évoqués par eux. La légitime indignation des électeurs de gauche face à cette démission devrait en priorité s'exercer à l'égard du gouvernement et du Parlement français. Les résultats des élections européennes ne changeront rien à la démission de la gauche française.
Mais comment, en attendant de futures élections nationales, les citoyens pourraient-ils influencer les positions de leurs parlements et gouvernements nationaux. Par des campagnes d'opinion qu'aucun media établi ne relaiera ? Par des manifestations de rue vite réprimées et d'ailleurs globalement impopulaires ? Certains commencent à penser qu'il s'agit en fait d'une tâche impossible, les décisions étant verrouillées par celles de groupes occultes représentant les intérêts financiers internationaux, eux-mêmes étant principalement sous l'influence américaine (la « finance » que François Hollande avait désignée comme son ennemi sur d'éphémères tribunes électorales) . S'il en était ainsi, les institutions politiques européennes se révèleraient aussi anti-démocratiques, bien que sous un aspect plus soft, que celles d'Etats dits autoritaires.