En France, un nombre croissant de personnes scandalisées par l'étendue de la fraude fiscale et de l'évasion de capitaux en résultant s'interrogent sur les réformes administratives, législatives voire constitutionnelles qui pourraient limiter ce système de corruption. Des mesures simples devraient effectivement être prises, visant en priorité à renforcer les moyens des services de contrôle administratifs et judiciaires scandaleusement allégés sous la présidence Sarkozy. Mais cela ne suffira pas si les ministres et le chef de l'Etat lui-même, si leurs homologues au niveau de l'Union européenne, couvrent les personnes et les entreprises suspectées, « enterrent » par les nombreux moyens dont ils disposent les dossiers ainsi ouverts.
Il faudra impérativement qu'aux différents niveaux des entreprises et des administrations apparaissent spontanément des lanceurs d'alerte prenant l'opinion à témoin des malversations et négligences dont ils auraient connaissance.
Mais il ne faut pas se faire d'illusion. Les lanceurs d'alertes n'apparaîtront pas s'ils ne sont pas protégés. L'expérience des journalistes d'investigation, ceux de Médiapart, du Canard Enchainé ou de la Croix (nous pensons à l'excellent Antoine Peillon, auteur de ce qui devrait devenir une anthologie, « Les 600 milliards qui manquent à la France . Le Seuil »), le savent bien. Les lanceurs d'alerte prennent des risques considérables, professionnels et même personnels. Ils doivent pouvoir s'ils le désirent rester anonymes. Ils doivent donc trouver des relais auprès de journalistes capables de leur apporter la crédibilité dont ils ont besoin. Ces journalistes eux-mêmes, et les journaux qui les emploient, doivent être protégés et non, comme en Égypte et dans bien d'autres pays, être poursuivis et criminalisés.
Lanceurs d'alerte et journaux doivent enfin trouver un écho parmi le nombre croissant des citoyens voulant, en soutenant et prolongeant leurs propos, réformer en profondeur un système démocratique aux valeurs desquelles ils n'ont pas encore renoncer à croire. Il faut en particulier qu'à travers Internet, l'ensemble des citoyens ayant la possibilité de s'exprimer prennent la parole pour amplifier les alertes ainsi lancées. Chacun d'entre nous, dotés d'un accès à Internet, doit se mobiliser en ce sens.
Mais quelle horreur, dira-t-on. Vous préconisez une société de la délation, des accusations anonymes et non fondées. Que faites vous de la présomption d'innocence? Et quels sordides raisons pousseront les lanceurs d'alertes à s'exprimer? Internet pour ce qui le concerne, comme ceux qui s'y expriment, déjà jugés par les défenseurs de la vertu comme participant d'une entreprise systématique de destruction, seront définitivement présentés par les institutions comme la poubelle à éviter.
Que l'on se rassure cependant. Mieux valent quelques accusations non fondées qui seront vite démenties que la chape de silence et de complicité imposée à toute la société par les oligarchies dominantes. En France et aujourd'hui, lorsque les meilleures bonnes volontés politiques sont bien en peine de recommander de grandes réformes capables de remettre la nation sur ses pieds, l'appel aux lanceurs d'alertes pourra, au moins momentanément, combler l'attente de tous ceux qui respectent les lois et s'acquittent de leurs devoirs civiques.